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Militer avec un hidjab, comme marcher sur un fil de fer

Exprimer sa colère sans donner des munitions aux racistes et aux intolérants représente parfois tout un défi pour Marwa Khanafer.
Marwa Khanafer prend la parole lors d'une manifestation à Montréal pour souligner le premier anniversaire de l'adoption de la loi 21 sur la laïcité de l'État.
Studio Halloum Montréal
Marwa Khanafer prend la parole lors d'une manifestation à Montréal pour souligner le premier anniversaire de l'adoption de la loi 21 sur la laïcité de l'État.

Admirés par certains, conspués par d’autres. Les activistes qui se consacrent à une cause sont-ils des héros incompris ou des casseurs insolents? Dans la série «À qui la rue? - Portraits d’activistes», le HuffPost Québec va à leur rencontre pour discuter de leurs motivations et de leurs combats.


Lorsqu’elle prononce un discours pendant une manifestation, Marwa Khanafer pèse chacun de ses mots avec attention. Vêtue de son hidjab, elle sait qu’elle n’a pas le droit à l’erreur. Elle a appris à ses dépends qu’un mot choisi à la légère peut se retourner contre elle et, surtout, contre toute sa communauté.

«Lorsque je fais une erreur, on le prend comme si je représentais toutes les femmes musulmanes», déplore la jeune militante. «Mais si je fais quelque chose de bien, alors là on l’associe juste à ma personne comme telle.»

À l’aube de ses 26 ans, la Québécoise d’origine libanaise — qui est née et a grandi en République démocratique du Congo — a déjà plusieurs causes à son actif. Dès son arrivée au pays en août 2016, elle s’est impliquée au sein d’UNICEF et d’Amnistie Internationale à l’Université de Montréal, où elle complétait une maîtrise en études internationales. Elle a aussi été secrétaire, puis présidente de son association étudiante.

En l’écoutant parler, on comprend vite qu’elle ne tolère pas l’injustice, peu importe la forme qu’elle prend. De son propre aveu, elle se sent interpellée par «toutes les causes qui touchent les droits humains». Mais c’est vraiment en 2019, dans la mobilisation contre la Loi sur la laïcité de l’État fait rage, qu’elle trouve «sa» cause.

«La loi 21, c’est vraiment quelque chose qui est venu me chercher», confie-t-elle. «Parce que là, t’es en train de t’attaquer à toute une minorité visible. Et tu peux dire que t’es en train de viser toutes les personnes qui portent un signe religieux, mais soyons clairs, t’es en train de t’attaquer plus précisément aux femmes musulmanes.»

Indignée de voir le Québec — où on lui parle sans cesse de droits des femmes et d’égalité entre les sexes, souligne-t-elle — «interdire à une catégorie de personnes, de femmes, de s’épanouir et de poursuivre leur rêve», elle prend dès lors toutes les occasions qu’on lui offre pour faire connaître son opposition à cette loi «discriminante et raciste». Elle songe par exemple à ces jeunes femmes qui ont toujours rêvé d’enseigner et qui ne pourront le faire que si elles acceptent de retirer leur voile.

Des manifestants ont profité du premier anniversaire de l'adoption de la loi 21 pour continuer de dénoncer l'interdiction de porter des signes religieux aux employés de l'État en position d'autorité coercitive, ainsi qu'aux enseignants du réseau scolaire public, le 14 juin 2020 à Montréal.
Courtoisie de Marwa Khanafer
Des manifestants ont profité du premier anniversaire de l'adoption de la loi 21 pour continuer de dénoncer l'interdiction de porter des signes religieux aux employés de l'État en position d'autorité coercitive, ainsi qu'aux enseignants du réseau scolaire public, le 14 juin 2020 à Montréal.

De manif en manif, la jeune femme multiplie les discours. Toujours, elle répète qu’elle ne s’exprime qu’en son nom personnel. Et toujours, elle prend soin d’utiliser des mots qu’elle qualifie de «moins durs», pour éviter que ceux qui l’écoutent ne puissent l’accuser d’insulter les Québécois.

Mais même en voulant protéger les sensibilités de certains de ses interlocuteurs, il y a néanmoins une expression qu’elle ne compte pas censurer: racisme systémique.

«Le racisme systémique, c’est un fait, c’est une réalité», tranche-t-elle. «Si on veut régler ce problème il faut d’abord l’aborder et le reconnaître.» Et il ne fait aucun doute pour elle que la loi 21 perpétue ce racisme systémique, même si François Legault refuse toujours d’admettre son existence.

C’est pourquoi, même si la loi a été adoptée le 16 juin 2019 — le jour qu’elle décrit comme la plus grande déception de son parcours d’activiste —, elle ne compte pas arrêter de faire entendre son mécontentement.

Écoutez l’intervention de Marwa lors d’une manifestation pour souligner le premier anniversaire de l’adoption de la loi 21, l’été dernier:

Une «carapace» contre la haine

Le militantisme de Marwa lui permet souvent de voir le plus beau côté des humains. «Dans les manifestations, il y a des gens qui ne sont même pas touchés par cette loi, mais qui vont y être juste pour te montrer leur solidarité et de dire que “même nous, les Québécois de souche, on est contre cette loi”», décrit-elle.

«C’est le genre de mobilisation qui te pousse à te dire que tu n’es pas seule dans ce combat. Il y a tout plein d’autres personnes qui sont avec toi, même s’ils ne te le montrent pas tous les jours», dit-elle. «On est juste... tous ensemble.»

Mais oser dire ce qu’elle pense, comme femme voilée, a aussi fait voir à Marwa un recoin hideux de la société québécoise. Quand on lui demande ce que pensent ses proches de son militantisme, s’ils sont parfois inquiets pour elle, elle finit par répondre du bout des lèvres: «Le seul truc qui inquiète mon entourage, ce sont les commentaires haineux.»

“Tu sais qu’il y a des gens qui vont être contre ton avis, qui vont t’insulter, venir te parler sur Messenger juste pour te menacer.”

Au fil de la conversation, on comprend qu’il ne s’agit pas de quelques incidents isolés. Ces messages haineux et racistes, elle les reçoit par dizaines, voire par centaines, chaque fois qu’elle partage des vidéos de ses discours sur les réseaux sociaux.

«Tu sais qu’il y a des gens qui vont être contre ton avis, qui vont t’insulter, venir te parler sur Messenger juste pour te menacer», laisse-t-elle tomber, comme si ça allait tout simplement de soi de subir des insultes racistes parce qu’elle se prononce contre une loi, dans une société démocratique. Comme si ce n’était pas une triste ironie que ceux qui l’attaquent parce qu’elle émet une opinion invoquent souvent la liberté d’expression pour se donner le droit de l’insulter en ligne.

Certaines de ses vidéos sont devenues virales, raconte-t-elle, parce que des personnes malveillantes les ont partagées dans des groupes islamophobes. Les membres de ces groupes les diffusent ensuite juste pour déverser leur fiel à l’endroit de Marwa, des femmes voilées, ou des musulmans en général.

«Quand tu mets une vidéo et que tu reçois plus de 50 ou 100 commentaires haineux... Le premier, deuxième, troisième, c’est bon tu mets un rire, tu souris, tu réponds gentiment», dit-elle. «Mais au bout d’une semaine tu as quelques commentaires positifs et après, c’est juste des commentaires négatifs qui tournent, qui tournent, qui tournent...»

Si elle admet avoir été «beaucoup affectée» par certains de ces messages, elle affirme s’être construit une «carapace» pour y faire face. N’empêche que de trouver l’équilibre entre sa volonté de se jeter corps et âme dans «ses» causes et le besoin de prendre du recul lorsque la haine devient trop lourde à porter est un exercice digne d’une funambule.

La jeune femme a toutefois l’habitude de faire face à l’adversité. Peu avant son 18e anniversaire, on lui a diagnostiqué un cancer du système lymphatique, qui ne l’a pourtant pas empêchée de terminer son baccalauréat entre les séances de chimiothérapie. Une épreuve qu’elle décrit comme une «belle aventure douloureuse» qui a fait d’elle «une nouvelle personne».

Le racisme au quotidien

Si des Québécois peinent à reconnaître l’ampleur du racisme dans la province, c’est parce qu’il est souvent insidieux, presque invisible pour ceux qui appartiennent à la majorité. Le racisme vécu au quotidien par Marwa est fait de microagressions: des regards, des sous-entendus, qui nourrissent le sentiment de rejet qui est devenu encore plus palpable, dit-elle, depuis l’avènement de la loi 21.

Aux yeux de plusieurs, ce voile — qu’elle a fait le choix d’enfiler à l’adolescence «sans pression, sans obligation, sans rien» — la place dans une sous-catégorie de la population.

«Une femme voilée est une femme soumise, une femme voilée est une femme non-cultivée, une femme voilée est une femme inférieure aux autres et une femme voilée est une femme terroriste», a-t-elle énuméré en 2018 lors d’un discours prononcé au Salon bleu de l’Assemblée nationale, alors qu’elle participait à la simulation du Parlement jeunesse du Québec.

Voyez son discours complet dans la vidéo ci-dessous.

Pas question, donc, pour Marwa de se taire. Elle continuera de se lever pour dénoncer le racisme et la discrimination, comme elle l’a fait à deux reprises à l’Assemblée nationale. Avoir l’occasion de dénoncer la loi 21 en ce haut lieu du pouvoir politique, même implicitement puisqu’elle n’avait pas le droit de mentionner la loi durant cet exercice, représente sa plus grande victoire à ce jour comme activiste.

«Juste le fait d’être debout à l’Assemblée nationale du Québec avec ton hidjab et de parler de la loi indirectement, même si tu trembles parce que tu sais que tu es en train de parler devant des gens que tu ne connais pas… Ce sont des moments qui vont rester gravés.»

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