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Pourquoi nous n'en avons pas encore fini avec l'or noir

La baisse des cours, donc des revenus du pétrole, constitue un risque direct pour des pays fortement dépendants et déjà fragiles, comme le Venezuela et le Nigeria. Il affaiblit l'économie de bon nombre d'autres pays exportateurs
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L'ouverture ce 16 avril 2015 à Paris du 16e Sommet international du pétrole est l'occasion de s'interroger sur l'actualité et le devenir de la principale source d'énergie de notre monde globalisé. La chute des cours actuelle est-elle "le début de la fin" annoncé par tant de prophètes?

L'une des dernières attaques parmi les plus retentissantes de l'État islamique a concerné il y a quelques jours la raffinerie de Baïji, la plus grande d'Irak. Assiégée depuis plusieurs mois par les djihadistes, reprise de haute lutte par les forces irakiennes soutenues par des frappes aériennes de la coalition menée par les États-Unis, elle symbolise l'importance stratégique intacte du pétrole. Dans nombre de conflits en cours, comme au sein du système économique global.

"Les combustibles fossiles fournissent encore les quatre cinquièmes de l'énergie à laquelle nous avons recours", rappelle Matthieu Auzanneau dans un récent ouvrage (Or noir, La grande histoire du pétrole, La Découverte, mars 2015). Garant de nos modes de production et de consommation, le pétrole reste incontournable en raison de son poids économique et financier: "Le chiffre d'affaires de l'industrie chargée d'extraire les hydrocarbures était en 2013 près de dix fois supérieur à celui de toute autre industrie".

L'impact de la baisse des prix

La pression baissière du moment sur les cours du baril est la conséquence de nombreux facteurs, qui interagissent d'ailleurs entre eux: ralentissement de la croissance mondiale et en particulier des échanges internationaux, surproduction, développement des pétroles non conventionnels, spéculation à la baisse... S'y ajoutent des phénomènes "perturbateurs", comme le terrorisme, les problèmes politiques, économiques et sociaux, la montée des tensions géopolitiques. D'ores et déjà, les conséquences de cette nouvelle donne se font sentir. La baisse des cours, donc des revenus, constitue un risque direct pour des pays fortement dépendants et déjà fragiles, comme le Venezuela et le Nigeria. Il affaiblit l'économie de bon nombre d'autres pays exportateurs, comme l'Angola, l'Algérie, l'Iran et bien sûr la Russie, mais également des pays modestement producteurs comme le Royaume-Uni - donc plus particulièrement l'Écosse.

Le 3 février dernier, Shell a annoncé son intention de déclasser le champ pétrolifère Brent en mer du Nord. Une décision qui laisse présager une vague de fermetures, le Financial Times estimant que "la grande majorité des 470 plateformes, des 10 000 kilomètres de pipelines et des 5000 puits restants en mer du Nord seront mis hors service". Il est vrai qu'à moins de 60 dollars le baril, la plupart de ces installations ne sont plus rentables, la raréfaction des ressources nécessitant des investissements de plus en plus massifs.

Une nécessité d'investissements massifs

En dix ans, de 2002 à 2012, les sommes dépensées chaque année pour chercher et surtout pomper l'or noir sont passées de 200 milliards à 700 milliards de dollars, et la plupart des nouvelles sources de brut (puits offshore profonds et ultra-profonds) exigent un baril aux alentours de 100 dollars, a minima. Il existe certes des sources alternatives, comme les sables bitumineux (notamment en Alberta, dont les réserves en pétrole sont estimées plus importantes que celles de l'Iran et de l'Irak), et bien sûr les hydrocarbures de roche mère (ou "de schiste"). Mais ils posent également un problème de rentabilité, compte tenu du coût énergétique élevé de leur extraction, et de l'impact environnemental de leur exploitation massive - la limitation de cet impact exigeant à tout le moins un effort considérable en R&D.

L'industrie du pétrole est donc plus que jamais consommatrice de technologie et de capitaux. Or ces derniers se font rares dans un contexte de croissance molle. La situation des prix et la nécessaire réduction des coûts sont d'ailleurs au cœur des débats organisés dans le cadre du 16e Sommet international du pétrole. Mais pour Matthieu Auzanneau, la baisse actuelle constitue ni plus ni moins qu'"une terrible menace pour la pérennité de l'industrie mondiale de l'or noir".

Le pétrole, carburant de la géopolitique

Si l'on sait les ressources naturellement limitées, force est de reconnaître qu'aucune solution technique viable de remplacement n'a encore vu le jour. "L'accroissement de la demande énergétique totale concerne, pour moitié, les énergies fossiles (charbon, pétrole, gaz), ce qui confère aux hydrocarbures un rôle prédominant dans la gestion des ressources mondiales entre producteurs et consommateurs", soulignent les auteurs du manuel Hydrocarbures et conflits dans le monde (Technip, 2012).

C'est ce qui explique notamment l'importance géopolitique toujours cruciale du Moyen-Orient. Et plus particulièrement du "corridor du pétrole" allant de la mer Caspienne au golfe Persique, entre l'est de la Turquie et de la Syrie et, à l'ouest, le plateau iranien. C'est-à-dire là où le pétrole est encore bon marché. Avec deux pièces maîtresses, selon Auzanneau : la "reine saoudienne" et le "fou d'Irak". "Les ressources de l'Irak, préservées durant un quart de siècle de guerres et d'embargo, en font le seul producteur mondial majeur de pétrole conventionnel en passe d'augmenter très significativement ses extractions dans les années à venir". Malgré leur précédent et cuisant échec, les États-Unis ne s'y sont pas trompés en décidant d'intervenir de nouveau dans le pays afin d'y contrer la menace de l'EI, dont une part substantielle des ressources provient précisément du pétrole.

Quant à l'Arabie saoudite, qui est à l'origine de l'actuelle baisse des cours, elle reste la puissance pétrolière dominante, à la fois comme premier pays producteur au monde et détenteur des principales réserves conventionnelles (16%). Elle a annoncé depuis plusieurs années déjà son souhait de ne pas intensifier l'exploitation de son brut. Dès 2010, le roi Abdallah avait en effet émis le souhait d'"interrompre toute exploration pétrolière afin qu'une part de cette richesse soit préservée pour nos fils et nos successeurs". Le royaume entend d'autant moins combler le déclin des autres producteurs d'or noir moins bien dotés par la nature qu'il se débat déjà avec les contradictions de sa propre opulence énergétique, la très importante consommation domestique (pour faire tourner l'air conditionné et les usines de désalinisation notamment) obérant ses capacités exportatrices. L'enjeu pour Riyad est, comme on le constate avec son intervention militaire au Yémen, d'affaiblir l'axe chiite. Le pétrole est une carte maîtresse dans ce nouveau "Grand Jeu".

S'il fallait enfin se convaincre de son importance stratégique, il suffit de relever la propension d'anciens hommes d'État occidentaux reconvertis dans le conseil à se choisir des clients parmi les puissances pétrolières, d'Henry Kissinger (au profit de l'Arabie saoudite) à Gerhard Schröder (Russie) en passant par Tony Blair (EAU) et Dominique de Villepin (Qatar). À cette seule aune, on mesure à quel point "la sortie du pétrole" n'est décidément pas pour demain.

Pour aller plus loin : Pétrole : vers une nouvelle donne ? Fluctuation des prix et constantes géopolitiques, note d'analyse géopolitique CLES de Grenoble École de Management, n° 159, 16/04/2015 - à lire sur http://notes-geopolitiques.com

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