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Prière à Saguenay: un jugement équilibré qui tombe à point

Au-delà de la prière au Saguenay, le jugement de la Cour suprême est riche en enseignements et en éclaircissements au sujet de l'étendue et des limites de la neutralité religieuse de l'État.
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Après une bataille juridique de plus de neuf ans, la saga de la prière au conseil municipal de Saguenay a enfin connu son dénouement. Dans un jugement unanime et historique, la Cour suprême du Canada a donné raison au Mouvement laïque québécois en affirmant que la prière contrevient à l'obligation de neutralité qui incombe aux institutions publiques et à l'État. Conséquemment, le maire Tremblay ne pourra plus réciter une prière avant les séances du conseil. Outre ce fait, le jugement de la Cour suprême est par ailleurs riche en enseignements et en éclaircissements au sujet de l'étendue et des limites de la neutralité religieuse de l'État. Le jugement pourrait d'ailleurs avoir des incidences importantes sur la future législation québécoise en la matière.

Notons d'abord que ce jugement sonne ni plus ni moins le glas de la « catho-laïcité », c'est-à-dire d'une laïcité offrant au catholicisme, religion de la majorité, un statut particulier ou certains privilèges dont les autres religions - minoritaires - ne peuvent jouir (voir notamment le paragraphe 64 du jugement). C'était d'ailleurs là un des éléments importants de l'argumentaire de la Ville et du maire Tremblay, ceux-ci arguant que la récitation de la prière s'inscrit dans la tradition québécoise. Qui plus est, toujours selon la Ville et son maire, la prière en question ne serait pas de nature confessionnelle. Or, dans les deux cas, la Cour suprême n'a pas souscrit aux arguments, soulignant plutôt qu'« [...] une prière, même non confessionnelle [n'en demeure pas moins] une pratique religieuse qui exclut les athées et les agnostiques ». (paragr. 92)

Plus explicitement encore, la Cour suprême rappelle que « la neutralité de l'État [...] impose à celui-ci de ne pas encourager ni décourager quelque forme de conviction religieuse que ce soit. Si, sous le couvert d'une réalité culturelle, historique ou patrimoniale, l'État adhère à une forme d'expression religieuse, il ne respecte pas son obligation de neutralité. Quand cette expression religieuse crée, en outre, une distinction, exclusion ou préférence qui a pour effet de détruire ou de compromettre le droit à la pleine égalité dans la reconnaissance et l'exercice de la liberté de conscience et de religion, une discrimination existe. » (paragr. 78) Autrement dit, l'appel à la tradition n'est pas un motif suffisant pour déroger à l'obligation de neutralité.

Faute de ressources pour le faire, la Cour suprême s'est cependant gardée de commander le retrait des signes religieux comme la statue du Sacré-Cœur de Chicoutimi et le Crucifix de La Baie. C'est là une sage décision, mais il n'en demeure pas moins que leur retrait irait à mon sens dans l'ordre des choses. Le jugement fournit d'ailleurs de nombreux arguments qui, le cas échéant, pourraient servir la cause de ceux qui souhaiteraient forcer leur retrait. Ce faisant, afin de se mettre à l'abri de nouvelles contestations judiciaires coûteuses, il m'apparaît qu'il serait sage de la part du maire Tremblay de les retirer immédiatement. Dans le même ordre d'idée, je verrais d'un bon œil que dans le projet de loi sur la neutralité religieuse de l'État qu'il prévoit déposer avant la fin du printemps, le Parti libéral du Québec propose de déplacer le crucifix qui trône actuellement au-dessus du siège du président de l'Assemblée nationale.

À mes yeux, cela dit, ce n'est pas seulement la catho-laïcité qui est mise à mal dans ce jugement, mais aussi l'essentiel du projet de Charte des valeurs québécoises tel que défendu par Bernard Drainville. D'abord, notons que ce dernier ne prévoyait pas incommoder le maire Tremblay dans son « droit » de réciter une prière lors des séances du conseil municipal de Saguenay. Par ailleurs, il ne s'était pas montré très chaud à l'idée de retirer le crucifix du Salon bleu de l'Assemblée nationale. Mais là où le bât blesse encore davantage pour monsieur Drainville, c'est lorsque la Cour suprême affirme « qu'un espace public neutre ne signifie pas l'homogénéisation des acteurs privés qui s'y trouvent. La neutralité est celle des institutions et de l'État, non celle des individus. (paragr. 74) Cette distinction fondamentale montre bien que toute volonté d'interdire le port de signes religieux chez les agents de l'État, faute d'être appuyée sur des motifs supérieurs, est inconstitutionnelle.

Le jugement de la Cour suprême a par ailleurs ceci d'intéressant qu'il apporte des éclaircissements au sujet de la mention de la « suprématie de Dieu » dans le préambule de la Charte canadienne des droits et libertés (à noter qu'il s'agissait là aussi d'un élément important de l'argumentaire de la Ville et du maire Tremblay). Dans les mots de la Cour : « La mention de la suprématie de Dieu dans le préambule de la Charte canadienne ne saurait entraîner une interprétation de la liberté de conscience et de religion qui autoriserait l'État à professer sciemment une foi théiste. Ce préambule, y compris sa référence à l'être divin, est l'expression de la « thèse politique » sur laquelle reposent les protections qu'elle renferme. » (paragr. 147) Bref, la mention en question n'a pas de portée substantive et ne saurait mettre en cause le fait que les dispositions explicites de nos chartes doivent recevoir une interprétation large et libérale.

Finalement, il me semble que ce jugement de la Cour suprême fait montre d'une grande sagesse en appuyant une fois de plus les assises d'une laïcité équilibrée qui s'inscrit somme toute en continuité avec le processus de sécularisation de nos institutions amorcé avec la Révolution tranquille. En effet, depuis au moins 1975, année de l'adoption de la Charte québécoise des droits et libertés de la personne, le Québec s'est engagé dans la voie de la laïcité dite « ouverte » ou « inclusive », c'est-à-dire une laïcité respectueuse de la diversité des options morales et religieuses qui sont le fait d'une société pluraliste comme la nôtre. Ce jugement confirme à mes yeux que nous avons fait le bon choix.

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