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Psychose: ils se confient sur la maladie mentale dont personne ne parle

Si la discussion s'ouvre de plus en plus sur la santé mentale depuis quelques années, le tabou persiste sur les troubles psychotiques. Caroline et Jérémi racontent leur vécu dans l'espoir de déconstruire des mythes persistants.
Aleksei Morozov via Getty Images

«Je fréquentais quelqu’un et je commençais à croire que cette personne-là était un détective privé. Je commençais aussi à croire que les gens de mon entourage qui me partageaient de la musique me transmettaient des messages qui m’étaient destinés dans les chansons et les paroles», raconte Caroline Desrochers.

«Je n’en parlais pas à mes amis parce que je me disais que c’était un peu original, un peu farfelu. Mais j’étais vraiment convaincue que ça existait.» À l’époque, en 2015, la jeune femme alors âgée de 27 ans vivait une peine d’amour, puis elle est tombée en dépression.

Puis, un soir, après quelques mois marqués par ces pensées inhabituelles et d’importantes difficultés à se concentrer, tout s’est amplifié.

«Je suis allée voir une conférence et j’étais convaincue que le Powerpoint s’adressait à moi et qu’il me révélait que j’étais une méchante personne et que j’avais fait plein de mauvaises choses, se rappelle Caroline. J’étais en larmes cette soirée-là. J’ai dit des choses très incohérentes et le lendemain, une de mes colocs me disait qu’elle ne me comprenait plus et que je n’étais plus cohérente.»

Accompagnée de ses deux colocataires, Caroline s’est alors rendue à l’hôpital Notre-Dame de Montréal en taxi, pour n’en ressortir que trois mois plus tard.

Caroline Desrochers
Courtoisie/Caroline Desrochers
Caroline Desrochers

Jérémi Leblanc-Bombardier avait 17 ans quand il a commencé à entendre des voix. Chaque fois que ça survenait, il venait de consommer; du cannabis, de l’alcool, et parfois des drogues récréatives.

«La première fois, j’entendais dans ma tête la voix d’un ami qui me disait “Jérémi, es-tu là, est-ce que tu m’entends?”» Un an plus tard, les voix s’invitaient un peu n’importe quand, même s’il n’avait pas consommé depuis plusieurs jours. «Ça pouvait être autant des jokes que des trucs un peu plus difficiles à entendre comme “va tuer telle personne”».

Le jeune homme a aussi commencé à vivre des hallucinations visuelles et auditives. Il avait souvent l’impression que les gens autour de lui le regardaient et le jugeaient, et était convaincu qu’il pouvait communiquer par télépathie. «Des fois, je m’obstinais longtemps avec mes parents. Je leur disais “oui, c’est vrai, je suis capable de lire dans la pensée des gens”, se souvient Jérémi. Ça m’arrivait que mes yeux bougent sans en avoir le contrôle et j’en suis venu à croire que c’était quelqu’un qui me faisait bouger dans ma tête.»

Toutes ces sensations l’ont mené à vivre une grande détresse. «Ça prenait quasiment toute la place dans mon quotidien. J’avais des hallucinations auditives jusqu’à ce que j’aille me coucher et que je ferme les yeux, et quand je rouvrais mes yeux le lendemain matin, ça recommençait. C’était non-stop et je me souviens avoir dit à mes parents “il faut que ça arrête parce que sinon, je vais me tuer”.»

C’est d’ailleurs sa mère qui avait tranquillement remarqué qu’il n’avait pas l’air dans son assiette, parce que son fils parlait moins et lorsqu’elle lui s’adressait à lui, il y avait un certain délai avant que Jérémi réponde. Elle a fait des recherches, puis en est venue à la conclusion que son fils faisait peut-être une psychose.

Jérémi a accepté de se rendre à l’hôpital, à Valleyfield, où il a été hospitalisé une première fois pour plus de trois mois.

Jérémi Leblanc-Bombardier
Courtoisie/Jérémi Leblanc-Bombardier
Jérémi Leblanc-Bombardier

Une psychose, c’est lorsque le contact avec la réalité est altéré, explique la Dre Amal Abdel-Baki, psychiatre et chef du continuum santé mentale jeunesse au Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM). L’interprétation des situations et des événements fait défaut chez la personne touchée, et les sens comme la vision, l’audition et l’olfaction peuvent aussi être atteints, ce qui peut engendrer des hallucinations.

Une vulnérabilité génétique est à la base de la psychose, indique-t-elle, mais pour qu’une psychose se déclenche, des facteurs de stress doivent s’ajouter.

«La drogue en est un, mais ça peut être aussi les stress de la vie quotidienne ou des stress plus extraordinaires. Ça arrive particulièrement entre 15 et 30 ans, parce que c’est une période où il y a beaucoup de changements dans la vie. On quitte le domicile familial, on a notre premier vrai chum ou blonde, on finit les études, on commence un nouvel emploi», énumère la Dre Abdel-Baki, qui travaille à la clinique JAP (Jeunes adultes psychotiques) du CHUM.

Et lorsqu’une personne qui développe des symptômes de psychose ne reçoit pas d’aide rapidement, elle devient plus à risque d’être convaincue que ce qu’elle expérimente correspond à la réalité, et la persuader qu’elle a besoin de soins peut devenir alors plus compliqué. «Plus on détecte tôt la maladie et plus on intervient tôt, plus c’est facile, meilleure est l’auto-critique.»

Des séjours traumatisants

Caroline et Jérémi gardent tous deux un souvenir amer de leur expérience à l’hôpital.

«Pendant un mois, j’avais une chambre toute blanche avec juste un lit métallique avec des courroies pour m’attacher quand je me désorganisais», raconte Caroline, qui admet que certains souvenirs liés à son hospitalisation demeurent assez flous. «Je ne comprenais pas ce qui m’arrivait, je ne savais pas que je n’étais pas bien dans ma tête.»

La jeune femme était alors persuadée qu’elle était dans une pièce de théâtre. «Je pensais que le but, c’était de m’emmener à l’hôpital, et qu’il avait été fermé et loué pour organiser une mise en scène qui allait mener à ma mort dans des souffrances atroces pour me punir de ne pas avoir été une bonne blonde quand j’étais en couple», se souvient-elle. «Je refusais tous les traitements parce que je croyais que les infirmières étaient des comédiennes engagées pour toute la mise en scène pour me faire du mal.»

“J’ai l’impression d’avoir été barouettée d’un étage à l’autre, d’un spécialiste à l’autre.”

- Caroline Desrochers

Caroline refusait tout traitement et ne mangeait plus. Comme elle représentait un danger pour elle-même, une ordonnance de la cour l’a éventuellement contrainte à recevoir des traitements et à rester à l’hôpital. «On a commencé à me forcer à prendre de la médication, à m’attacher, à m’injecter des antipsychotiques.»

«J’ai l’impression d’avoir été barouettée d’un étage à l’autre, d’un spécialiste à l’autre. Je ne me souviens pas que quelqu’un se soit assis avec moi et m’ait expliqué “t’es en psychose, voici ce que tu peux ressentir, voici ce qui va se passer”», déplore celle qui affirme avoir compris ce qui s’était passé seulement une fois sortie de l’hôpital, lorsque son entourage lui a finalement nommé les choses.

Quand Caroline a pu sortir de l’hôpital, elle est retournée chez ses parents pour poursuivre son rétablissement. «Je ne pense pas que je croyais que j’allais revenir à mes pleines capacités comme c’est le cas aujourd’hui. Je parlais très peu, j’avais toujours un regard un peu perdu.» Elle observe qu’avoir été entourée a fait toute la différence dans sa guérison.

Jérémi a été hospitalisé à deux reprises pour des psychoses en l’espace d’un an, et ces épisodes survenus il y a dix ans lui rappellent de mauvais souvenirs. «C’était très, très difficile. Ça a été un gros, gros choc», laisse-t-il tomber. «Je m’étais fait un gros scénario comme quoi mes parents m’abandonnaient à cet endroit-là.»

À l’hôpital, il se sentait comme un numéro. «Les infirmiers me posaient des questions sur mes symptômes, mais sans vraiment s’intéresser à moi. On était vraiment laissé à nous-mêmes. Pendant la journée, il n’y avait aucune activité de préparée, aucune discussion avec les autres. Le temps était long en tabarnouche.»

Jérémi estime qu’il aurait eu besoin de plus de soutien à l’hôpital. «J’aurais aimé avoir un support moral, avoir quelqu’un à qui me confier et parler de plein de choses. Il n’y avait pas juste la santé mentale dans mon problème. J’aurais aimé parler de mes troubles de consommation, de pourquoi je consomme. Il n’y avait pas qu’un seul problème et je pense que c’est pareil avec plusieurs patients», soulève-t-il.

Intervenir tôt

La Dre Abdel-Baki confirme qu’une expérience comme celle qu’ont vécue Caroline et Jérémi peut être particulièrement traumatisante. Elle insiste d’ailleurs sur l’importance de pouvoir être traité rapidement, puisqu’un épisode psychotique ne nécessite pas automatiquement une hospitalisation.

«Ce n’est pas le fait d’avoir une psychose qui est le problème, c’est le fait d’avoir une psychose pas traitée. Une fois qu’on traite les gens, tout ce qui est l’aspect de dangerosité pour soi-même ou pour autrui est énormément réduit», explique la présidente de l’Association québécoise des programmes pour premiers épisodes psychotiques.

Des cliniques spécialisées pour venir en aide aux jeunes en début de maladie, comme la clinique JAP où Dre Abdel-Baki travaille à Montréal, sont présentes dans presque toutes les régions du Québec et il est possible de s’y auto-référer facilement et sans délai. L’approche biopsychosociale est privilégiée, c’est-à-dire que la médication est la pierre angulaire, et combinée avec un soutien en réadaptation avec des travailleurs sociaux et des ergothérapeutes, par exemple.

«Quand on éduque la population, les gens sont relativement capables de bien reconnaître les signes de la maladie et on peut intervenir plus tôt et de façon beaucoup plus harmonieuse», avance la psychiatre. «La clé, c’est d’intervenir précocement. Si les gens ont accès rapidement, ils sont souvent moins malades et vont avoir besoin de moins de contraintes, donc n’auront pas besoin d’être gardé à l’hôpital contre leur gré.»

Changer les perceptions

Jérémi a fait deux autres psychoses diagnostiquées plus tard dans sa vie dans des contextes de stress, mais qui n’ont pas nécessité d’hospitalisation. Puis, certaines hallucinations ont persisté. Éventuellement, son psychiatre a posé un diagnostic: schizophrénie.

«C’est plus ma famille qui a eu de la difficulté avec ce diagnostic-là. C’est très tabou, ils avaient peur que je sois étiqueté toute ma vie. Moi, je m’étais fait à l’idée que j’avais quelque chose de pas correct. J’étais rendu prêt à prendre des pilules toute ma vie, si c’est ce que ça prend pour que je sois bien.»

“Quand j'entends une voix, c'est comme un nuage qui passe dans le ciel. Je peux le regarder, le remarquer, mais ça ne va pas provoquer une tempête.”

- Jérémi Leblanc-Bombardier

Aujourd’hui âgé de 27 ans, il mène une vie équilibrée. Jérémi est devenu éducateur spécialisé dans une école primaire et ne consomme ni drogue ni alcool depuis plusieurs années.

Les voix qu’il entend de temps en temps ne l’empêchent plus de fonctionner. «J’ai plus de contrôle sur mes pensées. Quand j’entends une voix, c’est comme un nuage qui passe dans le ciel. Je peux le regarder, le remarquer, mais ça ne va pas provoquer une tempête. Ça a moins une grosse emprise sur moi.»

Caroline n’a pas fait d’autre psychose, mais continue de recevoir une injection d’anti-psychotique chaque mois et est suivie par une psychiatre. Elle a pu terminer sa maîtrise, qu’elle avait entamée avant son hospitalisation, et est devenue travailleuse sociale. Marquée par cette période pénible de sa vie, l’intervenante étudie présentement en art thérapie.

«Ça m’a vraiment manqué de pouvoir créer, je pense que j’aurais guéri beaucoup plus rapidement si j’avais pu m’exprimer par l’art, si je n’avais pas été entre quatre murs blancs», affirme Caroline.

“Je ne pense pas qu’on s’imagine qu’on peut réussir sa vie après avoir vécu ça.”

- Caroline Desrochers

Jérémi et Caroline sont bien conscients du tabou qui entoure la psychose, et ils souhaitent raconter leur vécu pour montrer que la maladie mentale a de multiples visages, mais surtout, qu’il y a une vie au-delà de la psychose.

«Disons que ce n’est pas la première information que je donne quand je rencontre quelqu’un, mais c’est important pour moi de déstigmatiser cette réalité-là et de montrer un visage positif des lourds problèmes de santé mentale», indique Caroline. «J’ai déjà dit à un ami que j’avais fait une grosse psychose et il était tout étonné de voir que j’étais devenue travailleuse sociale. Je ne pense pas qu’on s’imagine qu’on peut réussir sa vie après avoir vécu ça.»

De son côté, Jérémi ne se gêne pas pour parler de sa schizophrénie et espère faire changer les perceptions sur sa maladie. «J’ai tout le temps été quelqu’un qui allait vers les autres et j’ai utilisé ça pour sensibiliser et faire comprendre que c’est une maladie, au même titre que le diabète; moi aussi, j’ai besoin de mes pilules pour aller mieux.»

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