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Quand le SPVM protège des néonazis

Comment se fait-il qu’une quinzaine de néonazis armés aient pu, sous la protection de la police, prendre possession de notre rue?
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Isabelle Baez

J'habite depuis quelques années le quartier Petite-Patrie. Samedi dernier, le 12 mai, je rentrais en auto à la maison avec mon compagnon et mon fils lorsque nous avons remarqué une opération policière. Juste après avoir tourné pour remonter notre rue, nous nous sommes trouvés face à face avec plusieurs véhicules du SPVM qui circulaient à vive allure en contresens, nous laissant à peine le temps de nous ranger sur le côté. À signaler : rien ne semblait se passer à ce moment-là dans notre rue; de plus, celles qui entourent la nôtre, soit Garnier et Marquette, auraient permis aux policiers de respecter le sens de la circulation au lieu de rouler à une telle vitesse, à l'envers, dans une rue résidentielle où des enfants peuvent surgir.

Mon fils nous a alors dit qu'il avait entendu parler d'une manifestation dans notre quartier à propos d'un néonazi qui avait été identifié et qui habitait près de chez nous. Naïve, je lui ai répondu que la police s'apprêtait peut-être à arrêter cet homme. C'est ce que je pensais jusqu'à ce que nous rendions finalement à la maison à pied, puisque notre rue était à présent bloquée par un cordon de l'escouade anti-émeute, et que je voie une quinzaine de personnes armées de barres de fer, de bâtons, masquées ou portant des gilets pare-balles qui se tenaient derrière les policiers.

Je suis allée demander à des membres du SPVM, en attente dans une auto-patrouille, ce qui se passait. On m'a répondu que la police était là à cause d'une manifestation et que je pouvais rentrer chez moi. Et me voilà passant en famille au milieu des personnes armées et agitées, puisqu'elles se tenaient sur le trottoir et sur la chaussée entre les policiers et notre appartement. Plusieurs voisines et voisins étaient dehors, perplexes et inquiets.

Une fois les sacs d'épicerie déposés chez nous, je suis redescendue. Il ne m'a fallu que quelques minutes pour avoir un portrait de la situation : l'escouade anti-émeute barrait la rue Fabre au niveau de la rue Saint-Zotique, renforcée par plusieurs autres policiers en auto, attendant l'arrivée d'une manifestation antiraciste, pendant que des néonazis armés se tenaient tout près, quelques mètres plus au nord, en toute impunité. Une voisine m'a dit s'inquiéter pour ses enfants; d'autres prenaient des photos. Pendant le temps passé là, plus d'une demi-heure, à aucun moment je n'ai vu un policier se diriger vers les personnes armées ou même leur parler.

Pendant le temps passé là, plus d'une demi-heure, à aucun moment je n'ai vu un policier se diriger vers les personnes armées ou même leur parler.

Accompagnée d'une voisine, je suis donc allée interroger un autre policier pour qu'il nous explique pourquoi la police bloquait notre rue alors que le seul danger visible à nos yeux était le groupe de néonazis. Sa réponse : «Ils se défendent contre des personnes qui leur veulent du mal, qui viennent détruire un appartement.» Nous lui répliquons que les «victimes» sont plutôt effrayantes et qu'elles nous préoccupent bien plus que la manifestation antiraciste qui s'en vient, mais nous n'obtenons ni écoute ni réponse.

La pression a continué de grimper, le groupe armé s'agitant de plus en plus à mesure que se rapprochait le bruit de la manifestation. Quand elle est arrivée au coin de la rue, les néonazis ont crié quelques slogans contre les «antifas», toujours sous la protection de la police.

De retour chez moi un peu plus tard, après m'être informée en lisant notamment une enquête de la Gazette, il a fallu me rendre à l'évidence. Pendant que nous soupions au-dessus de la ruelle ou des autopatrouilles circulaient régulièrement, je me suis dit que durant plusieurs heures d'un beau samedi ensoleillé, la rue Fabre était devenue le refuge d'une bande de néonazis venus soutenir Zeiger, pseudonyme de Gabriel Sohier Chaput, oeuvrant sur le site «The Daily Stormer», connu pour ses publications racistes, misogynes et homophobes. Dûment protégés par de nombreux membres du SPVM, ils avaient pu intimider la population et l'empêcher de vaquer à ses occupations.

J'aimerais qu'on m'explique pourquoi ces personnes ont pu agir ainsi impunément. Selon un voisin, la police étant là pour éviter le grabuge. Dans ce cas, pourquoi tourner le dos aux fascistes et ne se concentrer que sur une manifestation qui se voulait «festive et familiale», comme le rapportaient plusieurs publications l'annonçant et comme l'a prouvé l'absence d'incidents, de l'aveu même du SPVM?

D'autres lectures m'ont appris que ce n'était pas la première fois que le SPVM protégeait des néonazis dans une manifestation, mais c'était la première fois que je le voyais faire sous mes yeux. À l'heure où la mairesse de Montréal, Valérie Plante, dit s'inquiéter de l'apparition de graffitis d'extrême-droite sur le Plateau-Mont-Royal, selon ce que rapportait Radio Canada le 8 mai dernier («C'est inacceptable », a-t-elle statué, invitant la population à signaler chaque « geste qui encourage la haine [...], parce que ça n'a pas sa place à Montréal »), à l'heure où le SPVM dit suivre l'affaire de près, comment se fait-il qu'une quinzaine de néonazis armés aient pu sous sa protection prendre possession de notre rue? On ne peut d'une main condamner les gestes haineux et de l'autre protéger un groupe comme celui qui était présent samedi dernier. Une telle hypocrisie envoie un message rassurant aux néonazis en les laissant croire qu'ils sont tolérés dans nos quartiers. Manquer à ce point de cohérence au moment où partout se renforcent les mouvements d'extrême-droite équivaut ni plus ni moins à paver la voie à la haine.

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