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Quelle(s) commémoration(s) pour les 40 ans du génocide khmer rouge?

Il est inexact de croire que les survivants se taisent par rapport à leur vécu sous les Khmers rouges.
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Plusieurs milliers de Cambodgiens ont trouvé refuge au Québec entre la fin des années 1970 et le début des années 1990, rappelons-le grâce au leadership du ministre de l'immigration du gouvernement de René Lévesque de l'époque. Cette semaine, des centaines d'entre eux se sont rassemblés pour célébrer leur Nouvel An. Cette année, exceptionnellement, l'évènement coïncide avec les 40 ans de la prise du pouvoir de Phnom Penh par le régime khmer rouge. En effet, le 17 avril 1975, quatre millions de personnes, dont deux millions dans la capitale, sont menacées à la pointe du fusil et évacuées des villes vers les campagnes. Les Khmers rouges font littéralement table rase du passé, en éradiquant notamment la classe bourgeoise et intellectuelle, l'héritage bouddhique et artistique et la propriété privée. En un peu moins de quatre ans, les Khmers rouges font disparaître presque deux millions d'individus, exécutés, mal-nourris ou malades.

L'Holocauste et le devoir de mémoire

Depuis le milieu du 20e siècle, l'Holocauste a été élevé comme emblème du génocide et a progressivement imposé son cadre de référence pour penser tout autre drame collectif survenu dans l'histoire récente. De ce modèle, il en ressort que les survivants, déshumanisés par les violences de masse, sont des victimes marquées par une souffrance incommensurable, un trauma. C'est par la prise de parole qu'ils peuvent s'en libérer. Au niveau collectif s'ajoute l'idée que le devoir de mémoire est essentiel pour que de tels drames ne se reproduisent «plus jamais». Le 70e anniversaire de la libération d'Auschwitz en janvier dernier nous a rappelé l'importance de ce devoir à travers un flot d'articles dans les grands médias et des cérémonies publiques de vaste échelle.

Dans la perspective où des millions de Cambodgiens ont à leur tour à commémorer leur sombre anniversaire, quelques questions s'imposent. D'abord, le modèle du devoir de mémoire associé à l'Holocauste est-il universel? La transmission de la mémoire et la commémoration peuvent-elles s'exprimer dans d'autres termes? La réponse n'est pas simple.

Comment se souvenir ?

On entend souvent que les Cambodgiens entretiennent volontairement une forme de silence, qu'ils ne parlent pas du génocide khmer rouge entre eux, qu'ils cherchent à oublier le passé plutôt que de faire devoir de mémoire; les Cambodgiens souffriraient «d'une amnésie collective». En fait, pour comprendre comment se fait le devoir de mémoire dans la communauté cambodgienne, il faut moins se tourner vers les formes de commémoration publiques des victimes, qui sont rares, que vers les pratiques de la sphère privée et bouddhistes. Derrière une apparence de silence, de désintérêt et une attitude habituelle de réserve, les Cambodgiens entretiennent un rapport spécifique au passé et à la mort qui les pousse à «aller de l'avant» dans la vie.

Dans la sphère privée

Il est inexact de croire que les survivants se taisent par rapport à leur vécu sous les Khmers rouges. Entre eux, au quotidien, ces derniers parlent sans réserve de leur histoire, mais simplement pour socialiser et partager les expériences et les anecdotes d'un passé commun. Par exemple, à table, il est courant d'en parler spontanément entre amis ou entre proches, sans accablement et mélancolie. Le vécu du régime khmer rouge, sous la forme de courtes évocations ou anecdotes, sert également à transmettre des valeurs importantes, à donner des leçons aux plus jeunes. En soulignant la difficulté des épreuves qu'ils ont vécues, les parents poussent leurs enfants à redoubler d'effort dans ce qu'ils entreprennent. Ainsi, l'histoire ne sert pas tant l'objectif de la mémoire collective ou de l'extériorisation de la souffrance, mais plutôt celui d'assurer aux enfants un avenir meilleur.

Le bouddhisme cambodgien et le Pchum Ben

De plus, la commémoration des défunts s'exerce dans le bouddhisme, religion pratiquée par la grande majorité des Cambodgiens. Ces derniers croient en la réincarnation et le karma, principes selon lesquels les vies futures dépendent des gestes posées ici et maintenant. Pour faire bonne action, la famille doit honorer au quotidien ses ancêtres grâce à des offrandes et des prières. À travers ce rituel qui représente en quelque sorte un acte de mémoire, une communication permanente entre les défunts et les vivants est maintenue. Il n'y a pas de rupture entre le passé et le présent.

Hormis ces pratiques quotidiennes, les Cambodgiens rendent collectivement hommage chaque année à leurs défunts au cours d'une cérémonie traditionnelle d'importance majeure, le Pchum Ben ou la fête des morts. Chaque premier jour de la lune décroissante du mois de septembre, la population se réunit à la pagode pour honorer jusqu'à sept générations d'ancêtres. Ce jour appelé «la réunion» est l'occasion d'une véritable rencontre entre les vivants et les morts. Pendant les quinze jours suivants, les défunts cherchent leurs proches encore en vie. S'ils trouvent les offrandes laissées pour eux par leurs descendants, ils les bénissent et leur assurent de bonnes grâces.

De surcroît, lors du Pchum Ben, que le défunt ait été emporté durant le génocide ou d'une mort naturelle importe peu. Une attention particulière n'est pas réservée aux victimes des Khmers rouges ou plus généralement à ceux qui ont péri de mort violente; victimes qu'on appelle «les âmes errantes», qui ne peuvent se libérer du cycle des réincarnations. Or, durant le Pchum Ben, la commémoration s'adresse autant à ces âmes errantes qu'au reste des défunts, pourvu qu'ils appartiennent à l'une des sept précédentes générations. C'est donc dire que la commémoration des morts existe bel et bien en public, mais qu'on ne lui adjoint pas le spectre du génocide.

Le cas cambodgien ouvre la porte à une conception pluraliste du devoir de mémoire. Plus largement, il réintroduit dans la réflexion la question cruciale de notre rapport à la mort. Cette semaine, nous célébrons le Nouvel An cambodgien et nous commémorons les 40 ans du génocide des Khmers rouges. À notre avis, il n'y a pas de contradiction à vouloir en même temps honorer les ancêtres, rappeler leur mémoire - parfois associée au génocide - et se réjouir à l'idée d'une nouvelle année qui commence. Si comme le disait Elie Wiesel «ne pas transmettre une expérience c'est la trahir», il faut aussi garder à l'esprit qu'il existe une diversité de façons de commémorer et transmettre le souvenir des ancêtres défunts.

Ce texte est cosigné par Davith Bolin (historien de formation), Marie-Ève Samson (anthropologue), Eve-Lyne Cayouette Ashby (anthropologue) et Paul Tom (cinéaste). Avec Rémy Chhem, ils ont collaboré au projet Histoires de vie des Montréalais déplacés par la guerre, le génocide et autres violations des droits de la personne (2007-2012), initié par le Centre d'Histoire orale et de récits numérisés de l'Université Concordia.

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