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Radicalisation: le lien de confiance ébranlé?

Le Centre de prévention de la radicalisation menant à la violence (CPRMV)) de Montréal est souvent cité en exemple ailleurs dans le monde. Le secrétaire général de l'ONU, Ban Ki-moon, a même déjà dit être inspiré par celui-ci. Mais voilà que Radio-Canada a recueilli le témoignage d'anciens employés qui affirment que le directeur du centre les a incités à contrevenir à leur code de déontologie, en partageant des renseignements confidentiels obtenus auprès de personnes supposément radicalisées.

Un texte de Louis-Philippe Ouimet

Il s'agit d'informations troublantes à une semaine du sommet de l'UNESCO, qui réunira à Québec 250 experts en radicalisation, dont le directeur du CPRMV.

La mission du CPRMV de Montréal est bien visible sur son site Internet. Le centre écrit, entre autres, qu'il peut « offrir un soutien et un accompagnement psychosocial aux individus en situation de radicalisation ou en voie de se radicaliser, d'une part, de même qu'à leurs proches, aux enseignants, aux intervenants du milieu ou à tout citoyen concerné et, d'autre part, à tout individu victime de discours ou de gestes haineux. »

Toujours sur le site Internet, on peut lire ceci dans la section intitulée Approche : « Le CPRMV demeure donc un organisme autonome d'un point de vue stratégique et opérationnel, ce qui assure la confidentialité et le caractère anonyme de sa plateforme d'écoute et d'accompagnement, accessible à tous. »

Des intervenants critiquent le centre

Le psychologue Jacques Caron a travaillé pendant près d'un mois lors des débuts du CPRMV de Montréal. Sa vision du centre diffère de celle qui est affichée sur le site Internet de celui-ci.

À cette étape-là [au début des activités du CPRMV], très clairement, on était un centre de délation beaucoup plus, on était un centre de répression beaucoup plus qu'un centre de prévention. Maintenant, avec le temps, je ne sais pas comment ça a évolué.

Le psychologue Jacques Caron

En tant que psychologue, Jacques Caron peut communiquer un renseignement protégé par le secret professionnel, si ce renseignement peut prévenir un acte de violence ou qu'il y a un danger imminent. Mais le directeur du centre lui aurait demandé de partager toutes les informations qu'il recueillait, et ce, sans lui dire comment ces informations seraient utilisées.

Il affirme que cela va à l'encontre de son code de déontologie. « Complètement, parce que je veux gagner la confiance de ce jeune-là pour l'aider à se réintégrer. Je ne veux pas gagner sa confiance pour faire de la délation, pour l'arrêter ou l'emprisonner. »

Le directeur du CPRMV réagit

En entrevue à Radio-Canada, le directeur du CPRMV, Herman Okomba-Deparice, a déclaré : « Je peux vous dire, au centre, tous nos professionnels sont régis par des codes de déontologie. Donc ils le respectent très bien. Nous avons des protocoles avec l'ordre des travailleurs sociaux et psychologues du Québec. Nous consultons régulièrement tous les ordres au Québec. »

À la question de savoir s'il demandait à ses employés de lui transmettre des informations confidentielles, il rétorque : « Absolument pas. Les professionnels, chez nous, nos psychologues, nos travailleurs sociaux le savent très bien. Au centre, nous avons une politique. La priorité, qu'est-ce qui prédomine en matière d'intervention psychosociale au centre, c'est vraiment les ordres professionnels. C'est pour ça qu'on a des protocoles avec eux. »

L'histoire se répète

À ses débuts, le centre est passé par plusieurs réorganisations et Jacques Caron a été mis à pied dans le cadre de l'une d'entre elles. Mais l'histoire se répète. Un employé embauché plusieurs mois plus tard se serait fait demander la même chose par le directeur.

Une personne qui n'est plus à l'emploi du centre nous a aussi offert son témoignage : « On m'a demandé de faire des choses qui vont à l'encontre de mon code [de déontologie]. Le centre utilise des gens qui sont habitués à la relation d'aide, donc à mettre en confiance les gens, pour qu'ils s'ouvrent et pour qu'ensuite on rapporte les faits. »

Cette personne ajoute : « À mon époque, ce n'était pas du travail psychosocial, ça c'est une évidence. Ce n'était pas de la relation d'aide. [...] Ça peut ressembler à du travail policier. Il y avait un logiciel mis en place par exemple et ce logiciel faisait en sorte que le directeur pouvait avoir accès aux informations écrites pour la tenue de dossiers et il pouvait même écrire dans les dossiers lui-même. La confidentialité n'était pas assurée. »

Et, selon nos informations, cette pratique aurait toujours cours au centre de prévention.

Un centre en réorganisation

Toujours selon les informations recueillies, il y a eu au moins sept départs ou mises à pied depuis l'ouverture du centre. Et au moins trois de ces départs seraient liés aux méthodes utilisées pour obtenir des renseignements.

Le centre compte aujourd'hui 15 employés. Nos sources ont accepté de nous parler parce qu'elles souhaitent que ce centre soit plus transparent et qu'il assure une meilleure confidentialité aux gens qui viennent chercher de l'aide. « Je me dis que s'il y a quelque chose qui se passe, je ne veux pas cautionner par mon silence. Parce que je trouve que c'est dangereux », nous dit une source.

Moi, si j'étais un père, ce n'est pas au centre que j'irais pour dénoncer mon fils qui est en train de se radicaliser.

Le psychologue Jacques Caron

Réactions

Nicola Di Iorio, membre du Comité permanent de la sécurité publique et nationale qui doit examiner les programmes de sécurité au fédéral, affirme que « quand une personne parle à un psychologue et qu'elle a la nette impression que ce qu'elle dit au psychologue ça va rester entre elle et le psychologue et que le psychologue va le rapporter à quelqu'un d'autre, il y a un problème majeur ».

On trahit les gens qui viennent chercher de l'aide, on se les aliène et on aliène les gens qui, potentiellement, pourraient venir chercher de l'aide. Parce que ces gens-là, quand ils entendent ces histoires-là, ils vont être fermés.

Nicola Di Iorio

Le Centre de prévention de Montréal et ses interventions

En novembre 2015, le directeur du CPRMV affirmait que son centre avait reçu 368 appels et effectué 90 interventions auprès de familles. Le centre aurait à l'époque transmis 6 cas à la GRC.

En mai 2016, le directeur disait que son organisme avait reçu plus de 800 appels. Mais quelle est la proportion de vrais appels et celle d'appels non fondés? « Les gens qui appelaient, c'était plus pour se plaindre du voisin ou parce qu'ils étaient inquiets de l'ami qui portait une barbe », nous dit une ancienne employée.

La criminologue Maria Mourani se questionne : « Moi, ce qui m'interpelle le plus, c'est le manque de transparence. Parmi tous les appels qu'ils ont eus, combien sont de vrais appels versus de faux appels? »

Dans son rapport d'analyse de 84 pages publié en août dernier, le CPRMV ne mentionne pas combien de personnes ont bénéficié de son aide.

Le centre a reçu près de 2,5 millions de dollars pour deux ans de la Ville de Montréal et du gouvernement du Québec.

C'est quand même une organisation qui est publique, qui est payée à même les fonds publics et je pense qu'ils ont un devoir de reddition, comme on dit, un devoir de transparence, de savoir où va l'argent, où sont investies les sommes. Je pense qu'il y a un problème là.

Maria Mourani

Voir aussi:

Le sympathisant de l'État islamique Aaron Driver tué à Strathroy

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