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Réforme du droit de la famille: quel sera le réel objet du débat public?

Comment l’égalité de statut entre les conjoints mariés et les conjoints de fait, lors de la rupture, pourrait contribuer à la lutte contre la pauvreté des mères et des enfants?
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Les couples de fait sont plus enclins à convenir d’un partage des dépenses domestiques proportionnel à leur revenu et sont plus stables que les ménages mariés.
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Les couples de fait sont plus enclins à convenir d’un partage des dépenses domestiques proportionnel à leur revenu et sont plus stables que les ménages mariés.

Ce texte a été coécrit par Me Suzanne Dame et Me Lucie Lamarche (UQÀM).

La question du besoin de réformer le droit de la famille au Québec a récemment fait la manchette. On s'impatiente de l'inertie du gouvernement québécois, et ce, malgré l'impulsion donnée à la question par le Rapport du Comité consultatif sur le droit de la famille de 2015.

Nous saluons l'important fonds de recherche juridique qu'offre ce Rapport [le Rapport Roy]. Il est futile de nier les profondes transformations vécues par la société québécoise depuis la dernière réforme de 1980, laquelle a été bonifiée en 1989 par l'introduction du patrimoine familial au bénéfice des couples mariés.

Les principes et questions qui devraient orienter la réforme

Toutefois, en tenant pour acquis qu'une telle réforme n'appartient pas qu'aux juristes, un certain nombre de principes et de questions doivent orienter une éventuelle réforme. Ce sont ces principes que nous désirons mettre ici en évidence en souhaitant, vu l'importance du sujet, inciter la ministre de la Justice et de la Condition féminine à convoquer de vastes et inclusifs états généraux sur la famille et sur le droit familial.

L'égalité entre les hommes et les femmes: les discussions ambiantes mettent l'accent sur l'égalité des enfants lors de la rupture du couple. Le Rapport Roy propose à cette fin un régime universel (couples mariés et conjoints de fait) de biens familiaux à partager lors de la rupture en présence d'enfants et présume que cette mesure dite d'équité ne peut que les avantager. Cela reste à démontrer sur le plan économique.

C'est en se préoccupant d'abord du sort des enfants que les recommandations du Rapport Roy ouvrent la porte à l'encadrement juridique, et donc à la légalisation, du contrat de mère porteuse.

Mais surtout, cette proposition réduit les femmes à leur rôle de mère alors que 56% des ménages québécois seulement vivent en couple. Le droit de la famille peut-il à lui seul éradiquer les stéréotypes de genre qui font nommément en sorte que persistent des écarts salariaux entre les hommes et les femmes et qu'encore aujourd'hui, les tâches domestiques sont inégalement réparties entre les deux parents?

C'est aussi en se préoccupant d'abord du sort des enfants que les recommandations du Rapport Roy ouvrent la porte à l'encadrement juridique, et donc à la légalisation, du contrat de mère porteuse. Nous croyons que cette question doit d'abord être abordée dans le respect des droits des femmes et sous l'exigence d'un débat éthique préalable. Nous soulignons que ce débat n'a pas été fait. Des données manquent encore à la discussion. Qui sont les mères porteuses? Qui contracte leurs services? La société québécoise désire-t-elle un tel niveau de marchandisation du corps des femmes? Ces deux enjeux fondamentaux illustrent un virage inquiétant dans la discussion. Les droits des femmes-mères sont-ils assujettis à ceux des enfants? Certes, non.

Conjoints mariés versus conjoints de fait

La similarité de traitement entre les conjoints mariés et les conjoints de fait: on fait grand cas du jugement de la Cour suprême dans l'affaire Lola (2013), alors que la Cour maintenait la disparité de traitement entre les conjoints mariés et les conjoints de fait.

Plusieurs espèrent que le Québec s'ajuste au reste du Canada et mette un terme à cette disparité. Premièrement, rappelons que le reste du Canada envie les politiques sociales québécoises tel le congé parental et que donc, le Québec n'est pas le reste du Canada.

Deuxièmement, rappelons que lors de la réforme de 1980, cette disparité avait un sens politique: elle misait sur le développement de l'agentivité (empowerment) des femmes et postulait que les femmes faisaient le choix de s'extirper de l'institution (même symbolique) du mariage. En d'autres mots, c'était le postulat de l'anti-victimologie qui dominait. Le fait est qu'on a fait du chemin.

Selon l'excellente enquête menée par Belleau, Lavallée et Seery et publiée en 2017, 40% des couples de fait ont une gestion commune de leur budget et, sans surprise, ce choix se consolide en fonction de la durée de l'union, de la présence d'enfants et du statut de copropriétaire. De plus, cette étude démontre une importante solidarité économique chez les jeunes conjoints de fait moins fortunés. Rappelons enfin que pour l'ensemble des couples québécois, 29% des femmes ont un revenu supérieur à celui des hommes et que le revenu médian des couples mariés est à peine supérieur à celui des couples de fait.

Les couples de fait sont aussi plus enclins à convenir d'un partage des dépenses domestiques proportionnel à leur revenu et sont plus stables que les ménages mariés. Rien ne permet de conclure différemment selon qu'il s'agisse de couples hétéros ou homosexuels, bien que dans ce dernier cas, un besoin évident de données plus fines se fait connaître.

La société québécoise a donc fait du chemin et contenir le débat de la similarité de traitement dans le droit de la famille entre les couples mariés ou de fait, à l'enjeu de la vulnérabilité ne rend probablement pas justice au choix des Québécois et des Québécoises. Il reste, et tout le monde en convient, que les conjoints de fait, hommes et femmes, ne sont pas tous abonnés à la cogestion et à la copropriété et que le risque d'appauvrissement est plus grand, en théorie, lors de la rupture.

Au-delà de tristes anecdotes, sait-on ce qu'il en est en pratique?

Les propositions issues du Rapport du Comité consultatif sur le droit de la famille connaissent-elles et tiennent-elles compte de ce que les ménages québécois ont réellement à partager?

Le bulletin de santé financière des ménages québécois: les ménages québécois sont les plus pauvres des ménages canadiens. 35% d'entre eux ont un revenu disponible — incluant les transferts gouvernementaux — qui oscille entre 30 000$ et 60 000$. Leur ratio d'endettement actuel est de 170%, soit une hausse de 65% au fil des 15 dernières années. On estime chaque année que 100 000 ménages québécois sont à «risque de faillite». Ce sont, comme le démontre le Rapport Godbout sur la fiscalité québécoise (2016), les transferts gouvernementaux, et notamment le Soutien aux enfants et l'Allocation canadienne pour enfants, qui tiennent à l'abri d'une chute sous la ligne de pauvreté bien des ménages québécois.

Comment l'égalité de statut entre les conjoints mariés et les conjoints de fait, lors de la rupture, pourrait contribuer à la lutte contre la pauvreté des mères et des enfants?

Il faut donc mettre en relation les politiques sociales destinées aux familles, le partage (souvent négatif) du patrimoine familial et la pension alimentaire, afin de discuter efficacement de lutte contre la pauvreté des enfants, voire d'inégalités entre les enfants. Le statut du couple — marié ou pas — n'y change rien. On n'a toutefois peu documenté cette question et il importe de le faire en sachant ce que l'on veut. Car tout porte à croire que la connaissance qu'ont les ménages en rupture des politiques publiques influence les débats et les conflits portant sur l'attribution de la garde et sur la détermination de la pension alimentaire.

Une analyse strictement inspirée des décisions des tribunaux ou encore du droit écrit ne dit pas tout de la réalité des ménages québécois.

Nous sommes de celles qui croient que l'égalité des femmes passe par des politiques publiques de type sociale et fiscale. La question est donc: comment l'égalité de statut entre les conjoints mariés et les conjoints de fait lors de la rupture pourrait effectivement contribuer à la lutte contre la pauvreté des mères et des enfants? On pourrait continuer sur ce sujet en évoquant la question spécifique du partage des REER et des régimes de retraite complémentaires.

Seulement 40% des ménages disposent d'un régime complémentaire de retraite et la moyenne des cotisations REER accumulées par les travailleurs de la classe moyenne se chiffre à 21 000$. On ne fait pas de la richesse avec de la pauvreté, même en la divisant par deux! Et l'ère du travail précaire n'améliorera pas les choses.

Quel sera le réel objet du débat public portant sur la réforme du droit de la famille?

Le droit de la famille et la justice de genre: la pauvreté familiale des femmes est intrinsèquement liée aux discriminations systémiques et aux violences dont elles font l'objet, tant dans l'espace public que dans l'espace privé.

Si on ajoute à cette évidence les particularités issues de la racisation, de la situation de handicap ou encore, de la division urbaine et rurale des ménages québécois, une sensibilité particulière aux interfaces entre les politiques publiques et le droit privé porté par le Code civil du Québec s'impose.

Des états généraux sur le droit de la famille et sur la famille québécoise pourraient mettre en évidence ces interfaces et promouvoir un débat plus inclusif et surtout, porté par le droit fondamental des femmes et des mères à l'égalité. Une analyse strictement inspirée des décisions des tribunaux ou encore du droit écrit ne dit pas tout de la réalité des ménages québécois.

Plusieurs ménages vivent en marge du système de justice, par choix ou par contrainte, d'autant que son accessibilité est restreinte. Constatant ces angles morts, il ne faut pas prendre le risque de délester la responsabilité de l'État envers les femmes et les familles, sous prétexte de promouvoir l'égalité économique des enfants.

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