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Regarder devant

Je ne savais pas dans quel état je finirais mon année scolaire. J'étais épuisé et, avouons-le j'avais juste hâte de tourner la page et de passer à autre chose en attendant la prochaine rentrée. Et c'est là que ça s'est passé. C'est là que j'ai compris. C'est là que certains événements m'ont rappelé les raisons pour lesquelles je fais ce travail.
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J'ai écrit pour la première fois dans le Huffigton Post au mois d'août dernier, à l'aube de ma 23e rentrée scolaire en tant qu'enseignant de français. Je me suis dit qu'il serait logique de boucler la boucle en rédigeant un autre billet à la fin de celle-ci.

Alors, voilà.

Disons que ce fut une drôle d'année... Je ne veux pas parler au nom de tous mes collègues, mais pour moi, l'année qui s'achève a été plutôt pénible. Pas à cause de mes élèves. Non. Avec eux, cela a même été au-delà de mes attentes. Les négociations avec le gouvernement ont pesé très lourd dans la balance. J'ai trouvé très difficile de me motiver dans un tel contexte.

Aujourd'hui, quelques mois après une entente, rien n'a vraiment changé. Rien de plus pour les élèves en difficulté. Ma tâche de travail, l'an prochain, sera aussi lourde que cette année. On a un autre nouveau ministre, mais encore là, aucun changement concret dans ma réalité d'enseignant au secondaire.

Cependant, ce n'est pas le sujet de mon billet d'aujourd'hui.

En réalité, je ne savais pas dans quel état je finirais mon année scolaire. J'étais épuisé et, avouons-le j'avais juste hâte de tourner la page et de passer à autre chose en attendant la prochaine rentrée.

Et c'est là que ça s'est passé. C'est là que j'ai compris. C'est là que certains événements m'ont rappelé les raisons pour lesquelles je fais ce travail. Pourquoi, depuis bientôt 25 ans, malgré tous les pavés jetés dans la mare, j'aime encore ce que je fais.

C'est bon de se le faire rappeler. Surtout cette année.

Lorsque j'ai rencontré mes élèves pour la dernière fois, je croyais que ça se ferait sans difficulté, sans émotion. Avec un certain soulagement. Pas le soulagement de les quitter, mais le soulagement que cette année soit enfin terminée. Quand je leur ai dit au revoir, j'ai vu quelques yeux rougir, quelques sourires sincères poindre sur leur visage. À la sortie de la classe, certains m'ont serré dans leurs bras alors que d'autres m'ont regardé droit dans les yeux et m'ont sincèrement et chaleureusement remercié.

Et là, je me suis senti «coupable»... C'est moi qui aurais dû les remercier. Ce sont eux qui m'ont aidé à me tenir debout cette année.

Un peu plus tard, j'ai assisté à la soirée des finissants d'un de mes fils. Cette fameuse soirée où, avec toges et mortiers, les élèves célèbrent la fin de leurs études secondaires.

Vous auriez dû voir la fierté des parents qui assistaient à cette soirée. Vous auriez dû les entendre crier et applaudir lorsque leur enfant montait sur la scène chercher son «diplôme».

Je le dis sans prétention: pour moi, finir le secondaire, c'était un passage obligé. Par contre, depuis que j'enseigne, j'ai compris l'importance de cette soirée. Pour certains élèves, finir le secondaire malgré la pauvreté, malgré les handicaps, malgré la situation familiale, malgré les difficultés d'adaptation, malgré la dyslexie, malgré l'anxiété, malgré les préjugés, malgré l'intimidation ou encore, malgré les tentations; c'est tout un accomplissement! Je leur lève mon chapeau! Et moi, dans les limites de mes moyens, j'aime croire que j'ai participé à cela. C'est pour ça qu'on fait ce travail, non?

À la fin de cette soirée alors que, fiers parents, nous attendions que notre fils vienne nous voir pour immortaliser cet instant, lui, nous faisait attendre parce qu'il tenait à prendre une photo avec un de ses enseignants.

C'est important un enseignant dans la vie d'un enfant. Je devrais le savoir, j'en suis un. Mais là, voir mon fils faire passer un enseignant avant ses parents (belle leçon d'humilité!), ça me l'a rappelé.

Finalement, il y a eu le gala d'excellence. Cette soirée est toujours très émotive pour moi. Alors que l'année se termine, que je suis fatigué et que je commence à compter les jours qui me séparent des vacances, cette soirée me permet de finir l'année sur une note positive.

Moi, ça m'émeut de voir des jeunes accomplir de belles grandes choses. Vous devriez voir leur sourire, leur satisfaction, leur fierté. Ça me touche aussi de voir les regards parfois admiratifs, parfois attendrissants de certains parents devant leur enfant. Les jeunes apprennent tellement d'une soirée comme celle-là.

On a beau enseigner le français, les sciences, l'histoire ou les arts, mais dans dix ans, dans vingt ans, de quoi se souviendront nos élèves? J'aimerais croire qu'ils se souviendront du schéma narratif ou de la règle du participe passé d'un verbe pronominal, mais...

Je me souviens d'ailleurs d'une ancienne élève qui m'a déjà dit qu'elle avait beaucoup appris avec moi et que plusieurs de ces choses n'avaient rien à voir avec le français...

Ces derniers événements m'ont ramené à la réalité et ont (presque) réussi à effacer toute la grisaille qui a enveloppé l'année qui s'achève.

La reconnaissance des parents et de l'opinion publique, c'est bien. C'est même souhaitable. Mais la reconnaissance de nos jeunes, ça, c'est vraiment significatif.

Parce que, quand on y pense, c'est pour eux qu'on fait tout ça. C'est pour eux qu'on se donne, qu'on recommence huit fois le même document pour le «jazzer» un peu ou pour y insérer une blague. (une «blague de prof», mais bon...) C'est pour eux qu'on se documente, qu'on se lève pendant la nuit parce qu'on vient de trouver un «super exemple» pour illustrer tel concept ou telle notion. C'est pour eux qu'on regarde un film ou qu'on lit un livre en se demandant s'il pourra leur plaire.

Et, comme ça, sans m'en rendre compte, me voilà déjà en train de penser à certains concepts pour le gala de l'an prochain. Je suis déjà en train de restructurer mon méga projet de littérature pour le rendre encore meilleur, encore plus intéressant et plus significatif pour mes élèves. J'ai aussi changé la moitié de mes romans pour redonner un nouveau souffle à mon programme de lecture.

Oui, je suis fatigué. Oui, j'ai hâte à mes vacances (non payées, en passant). Mais je suis un privilégié. Je fais un travail que j'aime. Un travail très exigeant, mais tellement stimulant. J'ai la chance de travailler avec des gens passionnés qui souhaitent le succès et la réussite de chacun des élèves qui leur sont confiés. Ça, on ne le dira jamais assez. Et, finalement, je côtoie des jeunes qui me remettent sans cesse en question et qui me permettent de rester jeune et motivé malgré toutes ces années.

À vous, chers collègues, permettez-moi de lever un verre à votre santé. À vous, chers élèves finissants, je souhaite que vous trouviez votre chemin. La vie n'est pas une ligne droite, mais si vous écoutez votre cœur, vous finirez par arriver à bon port. Je vous souhaite ce qu'il y a de meilleur. Vous ne méritez rien de moins.

Bonnes vacances!

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