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Reggie Chartrand, adieu mon ami

Quand je pense à Reggie, le militant, je pense à un homme courageux, un homme de convictions, que rien ne pourrait abattre. Quand je pense à l'ami que j'ai côtoyé, je pense à sa lucidité, à son intelligence, à son sens de l'humour, à sa générosité et à sa mémoire.
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Il y a tant de choses que j'aimerais dire sur mon ami Reggie Chartrand. En même temps, la réalité nous rattrape parfois, les idées se bousculent, mais les mots nous manquent. Je me rappelle avoir rencontré Reggie pour la première fois alors que j'avais environ 14 ans, à la boxe au «Forum». Mon père me disait que c'était un grand bonhomme qui avait fait beaucoup pour l'indépendance du Québec. Et Reggie m'avait remis une fameuse «piastre» de la république du Québec, piastres qu'il avait fait fabriquer et qu'il avait distribuées, 250 000 selon lui. Par la suite, vers mes 20 ans, j'ai lu son livre publié chez Parti pris: La dernière bataille. C'est à partir de ce livre que j'ai eu envie de faire le documentaire Reggie Chartrand: patriote québécois. J'ai d'abord commencé par aller rencontrer Reggie chez lui, pour les entretiens qui serviraient au film, puis par la suite simplement pour lui rendre visite, pour jaser. Une relation d'amitié s'était développée: chaque fois que je le voyais, Reggie me saluait de cette manière : «Heille, salut mon ami».

Le boxeur et militant indépendantiste Réginald «Reggie» Chartrand est décédé au soir du 8 mars à Montréal.

Quand je pense à Reggie, le militant, je pense à un homme courageux, un homme de convictions, que rien ne pourrait abattre. Quand je pense à l'ami que j'ai côtoyé, je pense à sa lucidité, à son intelligence, à son sens de l'humour, à sa générosité et à sa mémoire. En effet, il pouvait me raconter un événement vieux d'il y a 40 ou 50 ans, comme s'il s'était déroulé la veille. Reggie était un homme marqué profondément par son expérience militante. «Du jeune homme timide et renfermé, je suis devenu l'indépendantiste révolutionnaire qui se bat sans cesse pour la cause. Je venais de m'embarquer sur une galère qui allait m'emmener quinze fois en tôle. J'allais être snobé, écoeuré, torturé, menacé de mort, traité de fou, de bouffon, de poseur de bombes et j'en oublie» (La dernière bataille). Malgré tout cela, il ne donnait pas l'impression d'un homme amer. Il avait fait ce qui devait être fait. Vous lui auriez demandé, il recommencerait sans hésiter. Il n'avait qu'un regret: que le Québec n'ait toujours pas accédé à son indépendance.

À la base, Reggie est originaire du village de Timmins en Ontario. Il est venu à Montréal dans les années 50 pour boxer, puis il «s'est fait pogner par l'indépendance du Québec», disait-il. Avec les «Chevaliers de l'indépendance», mouvement basé sur la dignité et la fierté qu'il avait fondé, il a été de tous les événements militants d'importance au Québec dans les années 60-70, souvent avec sa compagne Doris Mc Innis. Le carré Dominion, le samedi de la matraque, le train de la confédération, la visite du Général De Gaulle, le lundi de la matraque, etc. Tous ces événements méritent qu'on leur accorde de l'attention, ils sont d'ailleurs traités dans le livre de Reggie et dans mon film. Aujourd'hui, j'ai envie de m'attarder sur deux en particulier: les Gants Dorés de 1963 et la Saint-Jean de la matraque en 1968.

Reggie a commencé ses activités indépendantistes alors qu'il possédait une école de boxe. La AAUC (Amateur athletic union of Canada) voit alors d'un très mauvais œil ses activités militantes. Reggie est quand même choisi par l'AAUC pour accompagner les boxeurs québécois à Edmonton. Il sera toujours persuadé que l'AAUC agira ainsi pour tenter de le faire taire. En mai 1963, il décide de faire un coup d'éclat à la compétition des Gants Dorés au centre Paul Sauvé. Ce qu'il faut comprendre, c'est qu'à l'époque, tous les événements de boxe ne se passent qu'exclusivement en anglais. Il fait alors inscrire les mots «Vive le Québec libre» sur les peignoirs de ses boxeurs, arbore lui-même un t-shirt «Québec libre», et à un moment précis de la soirée, quelques-uns de ses amis déroulent des banderoles aux slogans indépendantistes. Outrage suprême au pouvoir anglais, l'école de boxe de Reggie remporte plusieurs trophés, qui seront par la suite confisqués. Trois jours plus tard, il reçoit une lettre de l'AAUC. Il sera finalement suspendu et ses boxeurs n'auront plus le droit de participer aux compétitions sanctionnées par l'AAUC. Le problème est qu'elle les sanctionne toutes.

Le lundi de la matraque. En cette fête de la St-Jean 1968, Reggie a été battu et arrêté, mais il a aussi été torturé. Torturé... ce mot est lourd de sens. Pour vous convaincre, lisez le livre Le lundi de la matraque: 24 juin 1968. C'est un livre de témoignages de gens qui ont vécu cette journée. Des hommes, des femmes, des militantes, des étudiants, des gens ordinaires, un curé, un col-bleu, même Gilles Proulx... Et si vous voulez l'autre côté de la médaille, il existe le livre La nuit des désillusions du chroniqueur Claude Aubin, qui était alors jeune policier à l'époque. Il raconte comment ont été traité les manifestants et les fêtards durant cette nuit. Il explique ce que Reggie a subi. Reggie a été battu à coups de matraques dans le parc Lafontaine par une dizaine de policiers. Il a été emmené au poste numéro 4, et malgré son état grave, des policiers ont continué à le battre sur place, à coups de pieds et de poings. Il a même été battu jusque dans l'hôpital. Coupures sur la tête et au visage, ecchymoses sur le corps et pour couronner le tout, côtes disloquées. Il a malgré tout été condamné à trois mois de prison. Il aurait pu y rester cette nuit là.

Je n'accepterai jamais qu'on dise du mal de Reggie Chartrand. Il a dédié et risqué sa vie pour le peuple québécois. Nous avions certains désaccords, mais c'était un homme que je respectais énormément. Même s'il se disait de droite, il se disait avant tout indépendantiste. Et c'était cela qui importait.

Reggie Chartrand a été longtemps snobé par des politiciens, par des journalistes, par des bien-pensants, il le disait lui-même: «Chu juste un vulgaire bas-de-la-ville en réalité». Ce que je suis fier d'avoir pu faire avec mon film, c'est d'avoir offert un endroit où son militantisme a été immortalisé. Par la suite, le Rassemblement pour un Pays Souverain lui a décerné ses palmes d'or patriotiques en 2010 et la Société Saint-Jean-Baptiste lui a décerné la prestigieuse médaille Bene Merenti de Patria en 2011.

Il restera dans notre mémoire pour toujours. Un grand homme. Un patriote.

Mes pensées vont à sa famille.

Merci pour tout Reggie. J'ai eu l'immense honneur de te connaître. Nous vaincrons.

Salut mon ami.

PS: Voici la fiche de Reggie Chartrand comme boxeur professionnel : 24(13 KO)-7-3

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Quelques images de la St-Jean-Baptiste de 1968

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