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Le confinement, l'heure de «repenser notre rapport au temps»

Pour beaucoup, le temps est long pendant cette épidémie de coronavirus et souvent synonyme d'ennui. Il peut cependant nous permettre d'apprendre sur nous-mêmes.
Selon cette philosophe, le confinement est aussi le moment de repenser notre rapport au temps
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Selon cette philosophe, le confinement est aussi le moment de repenser notre rapport au temps

Le temps passe et les journées se ressemblent. Il devient parfois difficile de distinguer un mardi d’un samedi voire de savoir quel est exactement le jour de la semaine. Pour les Français qui ne travaillent pas ou télétravaillent, le temps a pu devenir étrange depuis le début du confinement contre la pandémie de la COVID 19.

Pour certains, il peut s’étirer, pour d’autres, passer plus vite. Il semble quoi qu’il en soit s’être distordu. “Le régime temporel a changé du tout au tout, il s’est transformé, même pour les personnes en télétravail ou qui doivent tout mener de front. Quand le rapport à l’espace change, le rapport au temps change”, avance la philosophe et psychanalyste Hélène L’Heuillet, autrice de ”Éloge du retard: Où le temps est-il passé?”, contactée par Le HuffPost.

Remettre les pendules à l’heure

Métro, boulot, dodo. Quelle que soit la routine, l’époque n’est pas à la lenteur, nous la vivons au contraire à cent à l’heure. Entre le travail, les tâches ménagères, le sport, les sorties sociales, les enfants, nous avons des rythmes de vie effrénés. Sauf qu’avec le confinement, subitement, tout s’est arrêté.

“Le confinement vient remettre les pendules à l’heure, quand tout allait trop vite. Il a, d’une certaine manière, permis une pause à beaucoup de gens affolés, sous pression, avec une activité effrénée”, souligne la philosophe.

Cette rupture radicale avec le quotidien auquel nous étions tous habitués a pu être brutale. Si l’annonce du confinement nous a plongés dans la stupeur, elle en a confronté beaucoup à la peur de s’ennuyer, de trouver le temps long.

Peur de l’ennui

Le philosophe français Henri Bergson, décédé en 1941, n’aurait certainement pas eu peur de cet ennui. Dans ses essais, en particulier “Essai sur les données immédiates de la conscience”, paru en 1889, il établit une distinction entrée la durée et le temps. Plus précisément, entre la durée de la conscience et le temps scientifique. La durée est le temps tel que nous le percevons, le ressentons, il a presque une épaisseur et une couleur. Le temps scientifique, au contraire, est un temps mesurable, une succession d’instants. Pour comprendre cette distinction, voici un exemple donné par Bergson dans “L’évolution créatrice”:

“Si je veux me préparer un verre d’eau sucrée, j’ai beau faire, je dois attendre que le sucre fonde. Ce petit fait est gros d’enseignements. Car le temps que j’ai à attendre n’est plus ce temps mathématique qui s’appliquerait aussi bien le long de l’histoire entière du monde matériel, lors même qu’elle serait étalée tout d’un coup dans l’espace. Il coïncide avec mon impatience, c’est-à-dire avec une certaine portion de ma durée à moi, qui n’est pas allongeable ni rétrécissable à volonté. Ce n’est plus du pensé, c’est du vécu.”

Chez Bergson, le temps, compris comme la durée, n’est jamais autant expérimentée qu’à travers l’attente ou l’ennui. S’ennuyer permet d’appréhender réellement le temps qui passe.

Un autre rapport au temps

Hélène L’Heuillet, qui voit en cette théorie un éloge de l’ennui, ne va pas jusque-là. Au contraire, pour elle, l’ennui doit pouvoir être supporté mais pas recherché en tant que tel. “L’ennui peut être source de grande terreur. L’ennui, c’est sentir le temps à l’état pur, dans ce qu’il y a de plus atroce. Ce temps ne nous emporte même plus tellement il est lent”, explique Hélène L’Heuillet. C’est pourquoi elle estime qu’il faut tenter de le traverser, jusqu’à découvrir un autre rapport au temps.

Au-delà de l’ennui, la philosophe voit même dans le confinement une opportunité de “se réinstaller dans le temps”. Bien que l’épidémie actuelle et la peur qu’elle engendre ne puissent se faire oublier, tout d’un coup, la course folle s’est arrêtée, le temps se ralentit. Un temps qui ne doit plus être rempli mais simplement structuré et organisé, avec quelques rendez-vous dans la journée mais, surtout, des intervalles vides.

“Ces intervalles sont vitaux, ce sont de vraies respirations temporelles, de potentielles sources de créativité. Pour une fois, on peut passer une demi-heure à boire son café, et simplement jouir du temps qui passe”, souligne-t-elle.

En ces temps morts, ces intervalles, Hélène L’Heuillet entrevoit la possibilité de se parler à soi-même de son rapport au temps, de le repenser, de le subjectiver. Comment vit-on ce temps distordu? Quelles journées ont été plus agréables que les autres et pourquoi? Autant de leçons à apprendre des ces journées de confinement. Et à la fin, conclut-elle, “on aura gagné en termes de connaissance de soi-même”.

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