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Les réseaux sociaux vont-ils déstabiliser les démocraties?

La suppression du compte Twitter de Trump est un événement historique car les plateformes internet montrent ainsi un pouvoir extra-ordinaire, une licence to kill sans contre-pouvoir ni légitimité démocratique.
«La suppression du compte Twitter de Donald Trump est historique car cela consacre le rôle absolument majeur des géants de l’internet dans les déstabilisations actuelles et futures des démocraties.» (Photo Illustration by Rafael Henrique/SOPA Images/LightRocket via Getty Images)
SOPA Images via Getty Images
«La suppression du compte Twitter de Donald Trump est historique car cela consacre le rôle absolument majeur des géants de l’internet dans les déstabilisations actuelles et futures des démocraties.» (Photo Illustration by Rafael Henrique/SOPA Images/LightRocket via Getty Images)

Il n’aura fallu qu’une seconde à Twitter pour supprimer le compte du président américain, et ainsi le couper de ses 88 millions d’abonnés. Une base qu’il avait mis des années et des dizaines de milliers de tweets à construire.

Dans le cas d’espèce, il faut évidemment se réjouir que le réseau social ait enfin décidé de supprimer cette partie quasi intégrante de Donald Trump que le monde entier consultait chaque matin pour connaître l’humeur du locataire de la Maison-Blanche, relayer ou s’effrayer de ses tweets. Twitter était un outil capital qui lui servait de porte-voix sans filtre à des messages haineux, clivants et mensongers.

Mais cette suppression est un véritable événement historique, car les plateformes internet montrent ainsi un pouvoir extra-ordinaire, celui de pouvoir détruire de manière instantanée la présence digitale d’une personne. Une licence to kill sans aucun contre-pouvoir ni légitimité démocratique, reposant sur les seules Conditions Générales d’Utilisation et la volonté du patron de Twitter – heureusement démocrate convaincu, Jack Dorsey.

C’est également historique car cela consacre le rôle absolument majeur des géants de l’internet dans les déstabilisations actuelles et futures des démocraties – déstabilisations qui sont et seront permises par ces plateformes dont les algorithmes créent des bulles fermées, accentuant la fracturation de la société et la possibilité pour des menteurs effrontés comme Trump de répandre leur poison et d’attiser la frustration de millions de personnes. Au-delà de la désinformation et de la manipulation à grande échelle, ces plateformes permettent à des mouvements violents de s’organiser – preuve en est l’utilisation active des nouveaux réseaux Gab, Parler et DLive dans l’attaque du Capitole le 6 janvier dernier.

Quel contraste avec la lenteur des procédures démocratiques - même si celles-ci se sont prodigieusement accélérées du fait de cet événement saisissant qu’est la prise du Capitole américain, un événement qui a choqué le monde et ne s’était pas produit depuis plus de 200 ans. La procédure d’impeachment est lancée en quelques jours, sans avoir toutefois quasiment aucune chance d’aboutir du fait du peu de temps restant: en effet, seul un procès est à même de pouvoir destituer le président et d’avoir des conséquences notables pour la suite, notamment son inéligibilité future.

L’Europe a bien compris le rôle croissant des plateformes dans la diffusion de la haine en ligne, comme en témoigne le Digital Services Act présenté le 15 décembre dernier par Thierry Breton, visant notamment à contenir la haine en ligne. Mais là aussi, on est parti pour 6 mois d’approbation au Parlement Européen puis au bas mot 18 mois pour la mise en œuvre dans les États membres. Prendre du temps pour le débat démocratique et prendre les bonnes décisions, oui! Utiliser toute la créativité et la diversité européennes pour développer les stratégies les plus innovantes et les plus solides, oui! Mais ici ce sont beaucoup les méandres administratifs qui sont responsables de cette lenteur.

La pandémie l’a montré: au-delà de la qualité des décisions politiques – on pourrait presque dire en forçant le trait: quelles que soient les décisions prises - c’est la vitesse et la capacité d’anticipation qui est le défi majeur de nos sociétés en cette période d’accélération prodigieuse. Non, on ne peut se résoudre à ce que les démocraties soient plus lentes - il faut tordre le coup à l’idée que la lenteur favoriserait le consensus – sauf à prendre le risque de voir le pouvoir démocratique, son efficacité, et donc sa légitimité, contestés par des acteurs non démocratiques. Et on ne peut non plus se résoudre à simplement saluer les actions des plateformes comme celle de Twitter à l’encontre de Trump, ou à leur déléguer des pouvoirs exorbitants de garants des faits et de la bonne tenue du débat public – sauf à revenir à l’effrayant spectre du Ministère de la Vérité décrit par Orwell. Les démocraties doivent reprendre l’initiative, et combiner débat démocratique et agilité – ce qui passera forcément par un immense travail, sans cesse renouvelé, d’anticipation. C’est l’impératif démocratique de ce siècle et les Européens doivent s’en emparer sans attendre.

Ce texte a été publié originalement sur le HuffPost France.

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