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Coronavirus: privés de réunion, les Alcooliques Anonymes innovent

«Les catastrophes, souvent, c'est un terrain d'opportunité. Il y a des gens qui font plus de meetings là qu'ils peuvent en faire généralement.»
L'isolement et l'incertitude économique pourraient mettre à l'épreuve la sobriété de certains alcooliques en rémission.
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L'isolement et l'incertitude économique pourraient mettre à l'épreuve la sobriété de certains alcooliques en rémission.

Privés de leurs emblématiques réunions en raison de l’interdiction des rassemblements, le réseau des Alcooliques Anonymes (AA) se tourne vers le web pour continuer d’épauler ses membres dans leur cheminement vers la sobriété. Un défi de taille, mais dont le mouvement pourrait sortir grandi.

«Ça fait plus de 20 ans que j’ai arrêté de consommer. J’étais une loque quand je suis arrivé. C’est AA qui m’a sauvé la vie», témoigne Richard, en entrevue téléphonique avec le HuffPost Québec. «Quand la crise [de la COVID-19] est arrivée, je me suis dit “wow, comment est-ce que je peux aider?”»

À l’instar de plusieurs autres membres, Richard F.* est «passé à l’action» en organisant des réunions virtuelles, sur le même modèle que les fameux «meetings» organisés par les AA un peu partout dans le monde. Grâce au logiciel Zoom, les membres peuvent participer en vidéoconférence ou participer à l’appel avec une ligne téléphonique régulière.

*Comme l’anonymat est un des principes fondateurs du programme AA, les membres ne dévoilent que l’initiale de leur nom de famille.

«[La pandémie], c’est une situation difficile pour tout le monde présentement», concède Nicole A., présidente-adjointe de la division AA87, qui dessert Montréal et le sud-ouest du Québec.

Elle estime que beaucoup de personnes pourraient être tentées de se tourner vers l’alcool pour gérer le stress et l’anxiété causés par la crise actuelle.

«C’est certain que ça a un impact», opine Richard. «Même pour les gens qui sont dans le programme depuis plus longtemps et qui ont plusieurs années d’abstinence, c’est un bon temps pour vérifier où on en est dans notre sobriété.»

“[Si la SAQ fermait], il pourrait y avoir des problèmes.”

- Nicole A.

Et à ceux qui critiquent la décision du gouvernement d’inclure la Société des alcools du Québec (SAQ) dans la liste des services essentiels qui peuvent demeurer ouverts, Nicole répond que «couper un alcoolique de l’alcool, comme ça tout d’un coup, peut avoir des conséquences sur le plan médical».

«Je ne veux jamais dire que c’est correct de boire, mais [si la SAQ fermait], il pourrait y avoir des problèmes», avance-t-elle.

Le premier ministre François Legault a d’ailleurs souligné, mardi, que la décision de ne pas fermer les succursales de la SAQ et de la Société québécoise du cannabis (SQDC) «va dans ce sens-là». Il a dit craindre le «chaos social» en cas de fermeture, citant notamment le risque de voir des personnes ayant un problème d’alcool engorger le système de santé.

Pour un alcoolique, le sevrage peut notamment provoquer des vomissements, des crises d’épilepsie ou de l’anxiété. Dans les cas les plus graves, les personnes peuvent souffrir de delirium tremens, un trouble neurologique sévère qui provoque des fièvres, des tremblements et même des hallucinations. Ce phénomène requiert une attention médicale.

Des technologies qui sauvent des vies

Selon lui, les rencontres virtuelles ont déjà permis d’éviter «beaucoup de rechutes» au cours des dernières semaines.

«Il y a des gens qui pleurent de bonheur de savoir qu’il va continuer d’y avoir des meetings», raconte l’homme.

Nicole admet toutefois que ce ne sont pas tous les membres qui ont accès à un ordinateur ou à un téléphone intelligent. L’organisation travaille donc fort pour faire circuler les numéros de téléphone pour participer aux conférences, notamment en contactant les résidences pour personnes âgées et d’autres ressources pour les clientèles vulnérables. Davantage de lignes téléphoniques ont également été ouvertes au cour des derniers jours pour répondre aux appels à la ligne d’aide.

Les réunions virtuelles des AA auraient déjà évité des rechutes.
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Les réunions virtuelles des AA auraient déjà évité des rechutes.

En entrevue, Richard a décrit comment les habitués de certaines réunions se sont ralliés pour tenter de rejoindre ceux qui manquent à l’appel, en retraçant «quelqu’un qui connait quelqu’un qui a leur numéro de téléphone».

«Nous les alcooliques, on est habitué d’être dans la marde et on a toujours eu à développer notre système D. Une crise comme ça, ça nous ramène dans notre actif, mais avec toute l’expérience qu’on a acquis dans le programme.»

Sobre depuis une vingtaine d’années, Nicole concède néanmoins que le système a ses limites et que la situation peut être particulièrement taxante pour «les nouveaux», ceux qui viennent de commencer leur guérison. À long terme, les réunions virtuelles ne pourront pas se substituer aux rencontres en personne.

«Être en action, c’est très important. Ça nous aide à sortir de notre tête, de placer les chaises pour un meeting, de donner le café, de parler aux autres membres...» énumère-t-elle.

«C’est pas tout à fait la même énergie», avoue Richard. «Il n’y a pas le contact humain. Il y a des personnes qui ont besoin de se sentir accueillies. On fait notre possible en virtuel, mais c’est pas la même énergie qu’en personne.»

Philosophe, il croit tout de même que la crise actuelle pourrait avoir certains effets positifs. «Les catastrophes, souvent, c’est un terrain d’opportunité. Il y a des gens qui font plus de meetings là qu’ils ne peuvent en faire généralement. Parce qu’ils n’ont pas à aller au travail, ou encore parce qu’ils sont en région [où les réunions sont moins fréquentes] et qu’ils ont maintenant accès à plus de meetings

Il espère d’ailleurs que les apprentissages que les AA auront faits pendant cette période difficile seront utiles et que des réunions virtuelles perdureront quand la vie aura repris son cours normal.

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