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Le patrimoine de la Révolution tranquille: un enjeu de la campagne électorale

Depuis quelques mois déjà, un phénomène pour le moins fascinant est en train de se produire sur Twitter. Ils sont plusieurs centaines d'utilisateurs à y évoquer le souvenir de la Grande Noirceur et de la Révolution tranquille. J'ai relevé à ce jour plus de 2 500 tweets qui traitent de l'une ou de l'autre, et ça ne tarit pas (là-dessus, voir mon compte Twitter: @alexturgeon). Aucun parti n'est épargné, les uns dénonçant la Grande Noirceur, ce moment de stagnation nationale, les autres se réclamant de la Révolution tranquille, comme moment d'affirmation nationale.
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Depuis quelques mois déjà, un phénomène pour le moins fascinant est en train de se produire sur Twitter. Ils sont plusieurs centaines d'utilisateurs à y évoquer le souvenir de la Grande Noirceur et de la Révolution tranquille. J'ai relevé à ce jour plus de 2 500 tweets qui traitent de l'une ou de l'autre, et ça ne tarit pas (là-dessus, voir mon compte Twitter: @alexturgeon). Aucun parti n'est épargné, les uns dénonçant la Grande Noirceur, ce moment de stagnation nationale, les autres se réclamant de la Révolution tranquille, comme moment d'affirmation nationale. À un point tel où le patrimoine de la Révolution tranquille semble être devenu un enjeu de la campagne électorale. Un patrimoine que tous les partis se disputent chaudement.

Plus que quiconque, Jean Charest et François Legault ont été comparés à Maurice Duplessis pour leur positionnement sur la grève étudiante, leurs dispositions vis-à-vis les étudiants grévistes rappelant l'antisyndicalisme du chef de l'Union nationale, la loi 78 rappelant quant à elle la « loi du cadenas ». De là, il ne fallait qu'un pas à franchir pour que le Québec actuel devienne une autre période de Grande Noirceur - charestienne, celle-là -, en attente d'une autre Révolution tranquille.

Le Parti libéral du Québec et la Coalition Avenir Québec n'ont toutefois pas été les seuls à souffrir de ces comparaisons avec l'Union nationale et la Grande Noirceur. Tour à tour, le Parti québécois, Option nationale et Québec solidaire en ont fait les frais, mais à une moindre échelle. Un gouvernement péquiste serait ainsi un retour de la Grande Noirceur; on a sous-entendu que le vrai nom d'Option nationale était Union nationale; et enfin, advenant la victoire de Québec solidaire, ce serait « les années Duplessis mais de la gauche » selon un utilisateur!

Par ailleurs, la plupart rappellent le souvenir de la Révolution tranquille pour en devenir les dépositaires. Devant les candidatures de qualité qui s'accumulent au PQ - pensons à Pierre Duchesne, Léo Bureau-Blouin, Jean-François Lisée - des dizaines de péquistes ont souligné que Pauline Marois s'entourait d'une « équipe du tonnerre », comme on appelait le conseil des ministres de Jean Lesage en 1960. Depuis, la CAQ - avec les candidatures de Gaétan Barrette et Jacques Duchesneau - cherche elle aussi à s'approprier la formule. Québec solidaire n'est pas en reste. En présentant des candidats vedettes œuvrant dans le domaine de la santé, Amir Khadir a déclaré qu'ils formaient « une équipe 'santé' du tonnerre ».

Cette expression tirée de la Révolution tranquille n'est pas la seule à être récupérée dans la campagne électorale. On a fait grand cas du slogan de la CAQ, « C'est assez, faut que ça change! », rappelant le slogan du PLQ, en 1960 : « Il est temps que ça change! » Il ne faudrait toutefois pas oublier non plus « Maîtres chez nous! », autre slogan libéral de 1962 celui-là, repris à la fois par le PQ et Option nationale, deux partis souverainistes. Le vieux slogan de l'Union nationale a d'ailleurs été repris pour s'en prendre aux libéraux : « À Historia, une série 'Duplessis donne à sa province', sera suivie de 'Charest donne à ses amis...' ».

Il a même été question que le metteur en scène Dominic Champagne se présente dans la circonscription d'Outremont en tant que « libéral indépendant », car s'il ne se reconnaît pas dans les libéraux de Jean Charest, il se reconnaît toutefois « dans les libéraux qu'ont été René Lévesque, Paul Gérin-Lajoie ou Georges-Émile Lapalme, les libéraux de la Révolution tranquille ». À ce propos, les militants libéraux n'hésitent pas à rappeler à qui veut l'entendre que la Révolution tranquille et l'« équipe du tonnerre » n'appartiennent pas au PQ, mais bien au PLQ. Jean Charest a d'ailleurs pris le temps de rappeler à l'ouverture de la campagne électorale que ce sont les libéraux qui ont fait la Révolution tranquille.

Le patrimoine de la Révolution tranquille, un enjeu de la campagne électorale? À n'en pas douter. Mais en procédant de la sorte, en se tournant autant vers le passé, ne sommes-nous pas en train d'abdiquer, en vivant plutôt par procuration? Je m'explique. À mon avis, si les gens se tournent tant vers la Révolution tranquille sur Twitter, c'est qu'ils sont nombreux à souhaiter que se répète en 2012 ce scénario dont nous connaissons l'heureuse issue. À la Grande Noirceur, a succédé la Révolution tranquille, moment charnière de notre histoire. Que l'on souhaite que 2012 soit le théâtre d'une autre Révolution tranquille, on le comprend aisément. Que les partis en tiennent compte dans leurs discours, aussi.

Or, cette conception du passé québécois, où l'année 1960 apparaît comme une fracture, relève du domaine du mythe, c'est-à-dire qu'il se fonde à la fois sur le vrai et le faux. Selon cette conception du passé québécois, les années 1940 et 1950 sont appelées à n'être seulement que Grande Noirceur. Une Grande Noirceur qui prend fin en 1960 avec la Révolution tranquille, ce qui lui permet dès lors de prendre des proportions mythiques. On peut dire que c'est une véritable caricature, dans le sens qu'elle déforme l'époque, en exagérant certains de ses traits constitutifs, tout en nous permettant d'y reconnaître les années d'après-guerre.

Aussi, faire du patrimoine de la Révolution tranquille un enjeu de la campagne électorale revient en fait à perpétuer cette caricature du passé. Pis encore, à l'actualiser au goût du jour, en plaquant les questions, les débats et les enjeux d'hier sur la situation actuelle, où quantité d'énergie est dépensée soit à comparer son adversaire à Maurice Duplessis, soit à se présenter comme le digne héritier de Jean Lesage. Veut-on vraiment affronter l'avenir à l'aide des caricatures du passé? La question se pose plus que jamais, à l'approche du vote le 4 septembre prochain.

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