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La Crimée a réintégré l'Empire russe: la fin de l'ordre unipolaire?

Les coups de théâtre improvisés s'enchaînent, et les opinions contradictoires se bousculent, mais on peut tout de même formuler un premier constat général : l'avenir de la Crimée et de l'Ukraine oppose la Russie et l'OTAN dans une confrontation qui s'intensifie rapidement et dont personne ne peut prévoir l'évolution et la forme qu'elle prendra.
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Les coups de théâtre improvisés s'enchaînent, et les opinions contradictoires se bousculent, mais on peut tout de même formuler un premier constat général : l'avenir de la Crimée et de l'Ukraine oppose la Russie et l'OTAN dans une confrontation qui s'intensifie rapidement et dont personne ne peut prévoir l'évolution et la forme qu'elle prendra.

En ce 18 mars 2014, ce n'est pas qu'un nouveau chapitre de la saga du démantèlement de l'URSS qui s'est ouvert, mais bien une attaque sans précédent contre l'ordre unipolaire américain. Survenant moins de 48 heures après la tenue du référendum sur le rattachement de la péninsule à la Russie, la cérémonie de signature d'une "entente" consacrant l'annexion de la Crimée s'est déroulée en grande pompe au Kremlin.

Pour l'occasion, le discours solennel du président Poutine fut accueilli devant une foule diversifiée de hauts dignitaires, générant une effusion d'enthousiasme savamment mise en scène. « Kiev est la mère des villes russes » a tenu à rappeler Poutine. « Les Ukrainiens et les Russes forment un seul peuple ».

À travers les têtes grises des apparatchiks et de nombreuses personnalités artistiques et médiatiques, on ne pouvait manquer de voir quelques signes ostentatoires d'appartenance à l'Église orthodoxe, à l'Islam et au judaïsme.

Des partisans sont également mobilisés sur la Place Rouge pour acclamer leur président, dont la popularité atteint des sommets inégalés. Ils scandent le slogan préfabriqué pour l'occasion : « La Crimée, la Russie, ensemble »! De gré ou de force, ils célèbrent la correction de cette anomalie géopolitique par laquelle l'un des plus hauts lieux de la gloire militaire impériale russe s'était retrouvé, depuis 1991, dans un État étranger. Ils étaient là, ni plus ni moins, pour célébrer le retour de l'Empire postsoviétique.

La question lourde, bien entendu, concerne la délimitation territoriale de ce nouvel Empire eurasien qui émerge sous nos yeux.

Dans l'angoisse d'entendre siffler les premières balles, les premiers missiles, on parlera encore de l'Ukraine, mais l'attention internationale se dirigera vraisemblablement vers d'autres lieux, car, faut-il le rappeler, la crise chimique syrienne et nucléaire iranienne n'est pas terminée, loin de là...

Un retour prévisible

Le signal envoyé par Moscou n'a pas changé depuis le célèbre discours de Munich présenté par Vladimir Poutine en 2007. La Russie ne peut plus admettre que soient déployées, à sa périphérie, de nouvelles forces d'encerclement, dont un bouclier de défense antimissile. L'expansionnisme militaire de l'Alliance transatlantique doit cesser. La rudesse du message avait alors surpris les commentateurs. Comment un chef d'État pouvait-il ouvertement oser parler de l'Amérique comme d'un « camarade-loup »?

On le sait, l'OTAN n'a pas entendu ce message, allant même jusqu'à promettre, au sommet de Bucarest de 2008, que l'Ukraine et la Géorgie allaient un jour rejoindre l'Alliance. Moscou avait pourtant mis l'OTAN en garde que la reconnaissance de l'indépendance du Kosovo allait avoir de lourdes conséquences... Or, l'OTAN n'a pas non plus tiré les leçons du déploiement militaire russe dans les républiques autoproclamées d'Abkhazie et d'Ossétie du Sud, qui était pourtant un signal fort et sans équivoque envoyé à Washington.

Sceptique devant les efforts subséquents du président Obama d'appuyer sur le reset et de relancer la collaboration dans le dossier nucléaire iranien, Moscou a tout de même offert des gestes d'ouverture. Sous la présidence de Dimitri Medvedev, la Russie a même toléré que l'Alliance aille « protéger les civils » en Lybie, pour constater, une fois de plus, que l'OTAN transgressait cyniquement le droit international, en lançant une sinistre chasse à l'homme contre le président Omar Kadhafi, cet homme que les chancelleries occidentales avaient pourtant accueilli à bras ouverts quelques années auparavant.

Dès lors, résister à ces changements de régime organisés depuis Washington est devenu une véritable obsession sécuritaire pour les Russes. On a bien vu, en Syrie, à quel point Moscou était déterminé à contrecarrer les tentatives de faire tomber le régime de Bashar Al-Assad. Il fallait être fou pour penser que la Russie ne réagirait pas à la volonté états-unienne d'encourager, en Ukraine, une insurrection armée et l'installation d'un gouvernement fantoche de collaboration transatlantique.

Le danger d'une escalade irréfléchie?

Il est devenu banal, aujourd'hui, d'affirmer que l'on se dirige possiblement vers une nouvelle confrontation nucléaire. La semaine dernière, on a déploré la bêtise de l'ex-candidate républicaine à la vice-présidence Sarah Palin qui affirmait que la seule façon d'arrêter un mauvais gars avec une arme nucléaire était de lui opposer un bon gars avec une arme nucléaire.

Mais la folie est aussi présente de l'autre côté, comme en témoigne le message transmis en onde par Dimitri Kiselyov, le directeur de la métaagence d'information russe Rossiya Segodnya (qui contrôle Russia Today, Voice of Russia et RIA Novosti) : « La Russie est encore le seul pays capable de réduire l'Amérique en cendres ».

Il n'y a peut-être rien d'étonnant à ce que cette prophétie autoréalisante d'une guerre froide 2.0 se matérialise enfin. La nostalgie d'un ordre bipolaire dominé par deux superpuissances est aussi présente à Washington qu'à Moscou. La réémergence des rhétoriques apocalyptiques belliqueuses permet aux élites politiques d'oublier que le centre du monde économique se déplace rapidement vers l'Asie et que brûlent au Moyen-Orient des foyers d'instabilité qui menacent de se propager ici et là.

Cela dit, la question de la riposte occidentale à ce que beaucoup comparent déjà à l'Anschluss d'Hitler ne peut être esquivée.

Peut-on laisser la Russie emporter la péninsule sans craindre qu'elle exige ensuite d'autres morceaux comme la Transnistrie?

De quels moyens de pression disposons-nous réellement pour infléchir la position russe?

Sommes-nous prêts à consentir aux sacrifices nécessaires qui découleront d'une escalade de sanctions?

Le Québec devrait-il suivre le reste du pays en cas d'escalade miliaire entre l'OTAN et la Russie? Il est à souhaiter que notre gouvernement, qui sera d'ailleurs le premier du G7 à se rendre à Kiev cette semaine, prendra le temps de réfléchir à ces questions.

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