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Salam: Géopolitique de l'islamophobie

L'islamophobie occidentale n'a pas attendu le fondamentalisme islamique contemporain pour exister. Elle existe depuis longtemps et elle lui survivra sans doute.
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La vision dominante qui prévaut dans notre société au sujet de l'islam et de l'espace géoculturel musulman remonte aux croisades et au discours orientaliste qui en découle. L'islamophobie occidentale n'a donc pas attendu le fondamentalisme islamique contemporain pour exister. Elle existe depuis longtemps et elle lui survivra sans doute.

Dans le sens commun, elle tient cependant pour beaucoup au mantra de la guerre contre le terrorisme popularisée par l'administration néoconservatrice Bush, Rumsfeld, Cheney et Wolfowitz. Un discours qui s'arcboute à la stratégie impériale et expansionniste du Pentagone mieux connue le nom de Project for a New American Century (Projet pour le Nouveau Siècle Américain).

Aujourd'hui, cette stratégie vise notamment à ceinturer le vaste monde musulman sur le plan militaire en vue notamment de barrer la route à l'ascension de pôles concurrents désormais incarnés par les États du BRICS (Russie, Chine, Inde, Brésil, Afrique du Sud, Iran) qui entament la mainmise sur la région des États de l'OTAN.

Au milieu du siècle dernier et au sortir de la Conférence afro-asiatique de Bandung de 1955, période qui coïncidait avec les mouvements de décolonisation, c'était les projets souverainistes de construction nationale bourgeois et séculiers qui étaient pris à partie par l'axe de l'OTAN en favorisant des tendances plus conservatrices et beaucoup moins antisystémiques [1]. Les travaux de l'historien Mahmood Mamdani [2] ont été plus loin : ils ont même magistralement démontré l'historicité des liens objectifs, bien qu'inavoués, entre l'administration étasunienne et de nombreuses franges armées se réclamant de l'islam.

Au-delà de ces groupes djihadistes, les courants politiques de type wahhabite et plus fondamentaliste auraient éprouvé beaucoup plus d'obstacles pour s'étendre au-delà de l'Arabie Saoudite et d'un pays comme le Pakistan - qui servit de base-arrière à l'endiguement soviétique et plus largement des mouvements moins alignés sur l'axe anglo-saxon - sans le grand appui permanent et puissant des États-Unis. De leur côté, les Britanniques étaient parvenus à briser l'unité indienne en convaincant les leaders musulmans de former un État séparé qui deviendra le Pakistan.

Dès lors, on saisit un peu mieux l'initiative prise alors par les États-Unis pour casser le front uni des États d'Afrique et d'Asie né et consolidé lors de la Conférence de Bandung. Cette stratégie se fera surtout en œuvrant à casser ce front tiers-mondiste en optant pour une conférence islamique concurrente, qui fut fortement promue (depuis la fin des années 1950) par l'Arabie Saoudite et le Pakistan, et qui donna lieu à la mise sur pied de l'Organisation de la coopération islamique en 1969.

L'islam politique, en dépit des nuances et de la prudence auxquelles cette notion doit faire appel, a pour donc beaucoup rayonné et essaimé par ce type de moyen. Ce qui donne à croire, au gré des éléments rappelés ici, que l'islamisation de la révolte politique que l'on observe actuellement n'est pas tant le fait d'une affirmation spontanée de peuples en quête de sens - telle une sorte de supplément d'âme - que la mobilisation politique des référents religieux à des fins de pérennisation d'un ordre historique de domination. Le défi est donc d'en rendre compte rigoureusement sur le plan sociologique.

Car au moment où nos élites médiatiques font écho aux discours officiels de nos dirigeants arguant lutter contre la menace terroriste, l'analyse plus complexe nous donne plutôt à voir que la stratégie de nos États tend surtout à conforter la position régionale des monarchies et pétro-émirats du Golfe adoubés par l'OTAN.

Tout en ressassant des querelles de l'ère médiévale, en réactivant des haines théologiques millénaires et en jouant sur les schismes de l'islam, ces monarchies et pétro-émirats opèrent souvent comme argentiers finançant des groupes djihadistes qui se déploient objectivement comme sous-traitants des puissances de l'OTAN dans beaucoup de zones sur la planète. Ils fournissent aussi et surtout les prétextes aux interventions militaires.

Rappelons que les monarchies et Émirats du Conseil de coopération du Golfe (CCG) accueillent de nombreuses bases militaires de l'OTAN quadrillant le pourtour de la Mer Méditerranée, de la Mer Rouge et de l'Océan indien. Ces entités dépendent pour beaucoup du soutien sans équivoque de l'OTAN (comme on a pu le voir avec la réaction saoudienne au soulèvement populaire au Bahreïn et récemment au Yémen).

Soulignons que cette région du Golfe tient à son importance vitale et majeure comme débouchés pour les États de l'OTAN, en particulier pour des ventes d'armements et divers contrats juteux et mirobolants dans le domaine de la construction et de l'ingénierie. Le tout sous un fond de totale logique néolibérale et de recyclage des pétrodollars dans des mécanismes financiers occultes et échappant au contrôle étatique. Ces raisons économiques demeurent la cause majeure du soutien indéfectible que leur apportent les puissances de l'OTAN.

D'où aussi l'importance des ressources que ces États mobilisent pour contenir les demandes démocratiques latentes dans les pays de la sous-région et qui pourraient prendre des formes de politisation plus en phase avec les catégories marginalisées et appauvries. Mais surtout contre toute velléité remettant en cause l'équilibre régional et la position des dirigeants locaux qui usent de façon ostentatoire de leur mirobolante richesse pour maintenir leur domination sur les peuples de la région.

Si l'on espère sortir des regards qui alimentent l'islamophobie, le défi devra consister - notamment - à opter pour une analyse profane [3] des raisons politiques qui ont le plus souvent une apparence religieuse.

Le philosophe Étienne Balibar disait récemment qu'aucune guerre n'a ses causes dans la religion elle-même: toujours il y a «par en dessous» des oppressions, des conflits de pouvoir, des stratégies économiques. La trop grande richesse, la trop grande misère. Mais quand le «code» de la religion (ou de la «contre-religion») s'en empare, la cruauté peut excéder toute limite, car l'ennemi devient anathème.

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Références:

[1] Samir Amin, La déconnexion. Pour sortir du système mondial, Paris, La Découverte 1988.

[2] Mahmood Mamdani, La CIA et la fabrique du terrorisme islamiste, Paris, Demopolis, 2008.

[3] Georges Corm, Pour une lecture profane des conflits. Sur le « retour du religieux » dans les conflits contemporains du Moyen-Orient, Paris, La Découverte, 2012.

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Mai 2017

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