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Sarko et la fin de l'hyper individualisme?

C'est cet individu narcissique qui serait réapparu avec la société industrielle dans les années soixante à l'âge de la consommation de masse à aujourd'hui. On a dit Sarko, mais cela aurait pu tout aussi bien être Paris Hilton ou, chez nous, les faiseux de recettes, lofteurs et autre pléthore d'histrions, ou critiques de la poutine du Ramsay BBQ, qui dispensent leurs avis émotifs, polémistes et souvent démagogiques et contribue ainsi à vider de son sens le débat public.
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AP

Nous «apprenions» cette semaine que le président français Nicolas Sarkozy se représentait pour un second mandat présidentiel. Après avoir incarné l'ascension sociale à l'américaine et le clinquant triomphalisme des nouveaux riches, l'omni président tente aujourd'hui de se redonner une certaine envergure de chef d'État.

Paradoxalement, il semblerait que ce soit sa femme, l'ex-mannequin et chanteuse pop Carla Bruni -- issue d'une riche famille italienne -- qui soit derrière cette initiative.

S'il n'est pas élu au second tour, l'Histoire retiendra peut-être de Sarko qu'il fût l'ultime figure de l'hyper individualisme, tel qu'illustré par le philosophe français Gilles Lipovetsky dans son ouvrage L'Ère du vide, paru en 1983 (Gallimard).

Lui qui démontrait comment la logique ultra libérale nous conduit vers un seul idéal commun: la surconsommation. À cet égard, au moment où il était interrogé au sujet des oripeaux bling-bling du président Sarkozy et de son affection pour les objets clinquants, dont les montres Rolex, le célèbre publiciste Jacques Séguéla, un proche du pouvoir, déclara tout bonnement: « Tout le monde a une Rolex. Si à 50 ans on n'a pas une Rolex, on a quand même raté sa vie! »,

Il venait ainsi, mine de rien, de synthétiser en une phrase lourde de sens l'hyper individualisme dont parlait Lipovetsky. Président marié à une chanteuse pop et ex-mannequin, Sarkozy a instrumentalisé sa vie privée, refusé systématiquement la critique et a avili la fonction présidentielle -- « Tasse-toi, pauv'con » -- affiché un goût prononcé et assumé pour les marques de luxe et s'est avéré ultra doué dans la pipeulisation de sa propre mise en scène...

Cet hyper individualisme s'est vérifié dans toute la classe politique bien sûr, l'affaire DSK l'a démontré avec éloquence, mais également tous les jours dans la société civile : « L'idéal moderne de subordination aux règles rationnelles collectives a été pulvérisé », nous disait Lipovetsky.

Désormais, poursuivait-il, la valeur fondamentale est celle de l'accomplissement personnel. Exit les idéologies. « C'est la transformation des styles de vie liée à la consommation qui permit ce développement des droits et des désirs de l'individu, cette mutation dans l'ordre des valeurs individualistes. »

Près de 30 ans plus tard, force est de constater que, non seulement l'agrégé de philosophie a su cerner et codifier notre époque mais, dans bien des cas, s'avérer prophète.

L'homme démocratique

En effet, ce que nous disait la déclaration du fils de pub Séguéla au sujet de Sarko et sa Rolex, en somme, c'est que ce président bling-bling aura incarné de façon on ne pourrait plus éloquente, et cela au sommet de la hiérarchie sociale, le symbole de son époque: l'hyper individualisme contemporain poussé à son paroxysme.

Bien sûr, ce contemporain se décline dans la quotidienneté. Là-bas comme ici. On le voit à la télé, dans les journaux populaires, sur les blogues, sur Twitter, partout il quête l'approbation des autres, partout il quémande la gratification éphémère de la reconnaissance: versatile et sans passion dominante sinon que le culte de lui-même ou d'elle-même, relativiste absolu, bref, véritable girouette que Platon appelait déjà l'«homme démocratique» : une personne qui ne parvient plus à séparer ses désirs superflus de ses besoins nécessaires.

C'est cet individu narcissique qui serait réapparu avec la société industrielle dans les années soixante à l'âge de la consommation de masse à aujourd'hui. On a dit Sarko, mais cela aurait pu tout aussi bien être Paris Hilton ou, chez nous, les faiseux de recettes, lofteurs et autre pléthore d'histrions, ou critiques de la poutine du Ramsay BBQ, qui dispensent leurs avis émotifs, polémistes et souvent démagogiques et contribue ainsi à vider de son sens le débat public.

« L'âge moderne était hanté par la production et la révolution, l'âge postmoderne l'est par l'information et l'expression », confiait Lipovetsky avant de pêcher cette perle : « mais il en va ici comme pour les graffitis sur les murs de l'école ou dans les innombrables groupes artistiques : plus ça s'exprime, plus il n'y a rien a dire, plus il n'y a rien a dire, plus la subjectivité est sollicitée, plus l'effet est anonyme et vide. »

Effet anonyme pour gratification éphémère, l'opinion généralisée avec stars, codes, morcellement et effets chocs façon porno a encore de belles années devant elle... Lipovetsky avait raison il y a 30 ans. Et après avoir vu l'hyper narcissisme et ses corollaires triompher au sommet de la hiérarchie française, ce qui semble le plus étonnant, c'est de constater à quel point les pornographes de l'opinion sont devenus, à peu de frais, les nouveaux gardiens de l'ordre moral.

Bref, les nouveaux réacs. Ils sabrent le champagne aujourd'hui en tirant dans les airs à coup de semi-automatique, réclameront demain la peine de mort et la fin du droit à l'avortement se rapprochant ainsi, sans s'en rendre compte, d'un islamisme qu'ils exècrent pourtant.

Mais, bonne nouvelle, les indignés de partout dans le monde n'on pas dit leur dernier mot. La plupart d'entre eux, expurgés du fantasme marxiste, semblent tout aussi disposés que leurs vis à vis de droite à maitriser les instruments du star système et de la société du spectacle à leur profit comme le démontre le succès du livre de Stéphane Hessel Indignez-vous et la récupération du symbole masqué V comme Vandetta pendant Occupons Montréal.

L'ère du vide n'est certes pas terminée, mais l'hyper individualisme et ses réactionnaires arrogants ont désormais une opposition de plus en plus révoltée prête à se lever debout et à descendre dans la rue. Et elle est mondiale.

Vivement, bientôt près de chez vous, le printemps québécois.

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