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Scandale au Forum de Montréal

Nous sommes en 1936. Fred Christie entre dans la taverne du Forum et commande une bière. Le serveur refuse de le servir. L'assistant gérant explique aux clients que l'établissement n'offre pas de service aux nègres.
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Le Canadien de Montréal est une équipe mythique. Une des équipes fondatrices de la Ligue nationale de hockey (LNH). Le Forum a été pendant longtemps le temple du sport de la nation. Maintes batailles socioculturelles et linguistiques se sont livrées sur la glace et dans les coulisses. Maurice Richard n'est qu'un des nombreux héros qui n'ont pas jonché devant la discrimination. Les adeptes des Habs le savent par cœur.

Mais l'histoire de Fred Christie, elle, est moins connue.

Un gars de Verdun, Fred Christie suit les péripéties du Tricolore, tout comme une légion d'autres Québécois. Le Montréalais, qui habite à Verdun, est même un fier détenteur des billets de saison pour les matches de hockey au Forum.

Accompagné d'amis, M. Christie entre dans la taverne du Forum et commande une bière. Le serveur refuse de le servir. L'assistant gérant explique aux clients que l'établissement n'offre pas de service aux nègres. On est en 1936.

Le protagoniste, un immigrant jamaïquain, avait plus de 20 ans de résidence au Québec. M. Christie s'inscrit au culte du hockey sur glace même si la LNH ferme alors ses portes aux joueurs de couleur. Quoique M. Christie s'intègre et s'acclimate à sa terre d'accueil, il n'est pas traité comme les autres clients. L'ouverture légendaire du peuple québécois n'a alors pas encore fait son plein. D'ailleurs, le mot «racisme» n'est introduit au dictionnaire Petit Larousse qu'en 1930, juste à temps pour pouvoir nommer les violences ethniques qui ravageront bientôt toute l'Europe.

Pendant l'acrimonie à la taverne du Forum, M. Christie a beau expliquer que cette règle soit injuste, le gérant ne veut rien savoir. M. Christie fait appel à la police. Celle-ci ne fait rien pour rectifier l'injure. Humiliés, Fred Christie et ses amis quittent la taverne mains bredouilles. Comme la plupart des Noirs de Montréal, M. Christie sait quels magasins et théâtres éviter, quels emplois lui sont niés, et quels quartiers résidentiels lui sont interdits. Après tout, la métropole est alors un havre de ségrégation en sourdine. Mais pour l'habitué du Temple du hockey qu'est M. Christie, la règle raciste de la taverne du Forum de Montréal est la goutte qui fait déborder le vase.

Après mures réflexions, Fred Christie amène son cas de discrimination en cour. Essuyant multiples revers, son affaire se rend jusqu'à la Cour suprême.

C'est le 9 décembre 1939 que la Cour suprême livre sa décision finale. Elle statue que le principe général de la loi au Québec, c'est la liberté d'entreprise.

Chaque propriétaire est maître chez lui; il peut, à son gré, établir toutes règles non contraires aux bonnes moeurs et à l'ordre public.

- Juge-chef Lamothe

Le commerçant est libre de refuser tout membre du public, quels que soit les motifs. Un juge en rajoute: il blâme carrément M. Christie pour son abjection.

« En refusant de vendre de la bière à l'appelant [M. Christie], les employés de la taverne l'ont fait tranquillement, poliment et sans causer de scène. Si l'appelant a subi une humiliation pendant l'occasion en question, elle est née sur le fait que l'appelant a persisté à réclamer la bière après avoir été ainsi refusé et est allé à la longueur d'appeler la police, qui était entièrement injustifiée par les circonstances. »

-Juge Rinfret de la Cour suprême du Canada (traduction libre)

La Cour clarifie que les entreprises pourraient fixer leurs propres règles sauf si celles-ci violent les lois ou sont contraires aux normes morales. Effectivement, la Cour suprême du Canada endosse la règle «aucun service aux noirs» comme conforme aux normes morales du jour.

Dans le contexte social du Canada avant la Révolution tranquille (1945-1950), avant l'acte de défiance de Viola Desmond (1946), avant que Rosa Parks déclenche la fièvre des droits civiques américains (1955), Fred Christie a su se lever debout. Il milite à contre-courant à l'époque où l'Organisation des Nations Unies n'existe pas, et la Déclaration universelle des droits de l'homme (1947), encore moins.

Son courage et sa persévérance à revendiquer ses droits civiques n'ont pas livré les résultats escomptés, mais Fred Christie demeure un instigateur incontournable dans le cheminement du Canada vers l'établissement des droits universels. Comme le savent les Québécois d'un certain âge, la justice canadienne n'a pas toujours été tendre envers les minorités. Fred Christie a pelleté pour nous tous. Quarte ans après ce honteux jugement de la Cour Suprême du Canada, le «Racial Discrimination Act» de l'Ontario annonce la nouvelle ère antidiscriminatoire, qui se rependra tranquillement partout au Canada. Fred Christie est décédé dans l'ombre de l'histoire. Il ne bénéficie d'aucun statut honorifique à la hauteur de sa bravoure. C'est à peu près temps, n'est-ce pas?

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