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Anglicisation de nos services de santé: l'Hôpital de Lachine n'est que la pointe de l'iceberg

Même si d'aucuns refusent de se l'avouer, on subit une forme d'oppression linguistique institutionnalisée, à laquelle il faudra bien mettre un terme une bonne fois pour toutes. Et cela commence par le CUSM.
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C'est hélas sans grande surprise que j'ai pris connaissance de la nouvelle parue le 4 avril dans La Presse révélant que de plus en plus de rapports médicaux sont rédigés en anglais à l'Hôpital de Lachine et au Centre universitaire de santé McGill (CUSM)... Quoique prévisible, cette situation n'en est pas moins indécente et inacceptable. Après avoir investi des milliards et des milliards de fonds publics dans la construction de deux mégaCHU à Montréal, il me semble que les contribuables sont plus qu'en droit de s'attendre à être soignés et servis dans leur langue lorsqu'ils mettent leur vie et leur santé entre les mains de ces institutions publiques essentielles!

La SSJB l'avait prédit mais on ne l'a pas écoutée

Instigatrice dès 2006 de la Coalition pour un seul mégaCHU avec le regretté Dr. Denis Lazure, la Société Saint-Jean-Baptiste (SSJB) de Montréal et d'autres organisations avaient déjà amplement prédit, documenté et dénoncé le phénomène d'anglicisation en cours aujourd'hui, tout comme nous avions questionné à juste titre la présence de l'ineffable Arthur T. Porter à la tête du CUSM.

Malheureusement, les observateurs et les décideurs ne réalisent trop souvent qu'après coup qu'ils auraient mieux fait d'écouter les défenseurs de la langue, plutôt que de les snober...

Revoir le statut bilingue du CUSM

À présent que la bataille pour la construction d'un seul méga-hôpital universitaire francophone dans la métropole (plutôt que deux, dont l'un bilingue-anglophone) a été perdue, le gouvernement doit revoir le statut linguistique du Centre universitaire de santé McGill (CUSM).

Il faut dire que la plupart des institutions affiliées au CUSM ne desservent pas une majorité de personnes d'expression réellement anglaise. Rappelons que la communauté anglophone n'excède pas 17,8 % de la population de l'île de Montréal, composée toutefois d'un grand nombre d'allophones (33,5 %) qu'il importe de franciser en appliquant justement le principe du français, langue commune de nos institutions publiques.

En 2016, rien ne justifie que le CUSM soit institutionnellement bilingue et qu'il continue, ce faisant, à angliciser dans les faits nos services publics de santé et de services sociaux, sachant que l'anglais y devient de plus en plus la lingua franca, tel que démontré dans l'article de La Presse.

Loi 101

Si nos décideurs n'ont pas le courage de faire du CUSM une institution de langue française comme les autres, alors à tout le moins voudront-ils réviser la Charte de la langue française pour s'assurer qu'en toutes circonstances, les communications médecins-patients et les documents médicaux se fassent avant tout en français.

À l'heure actuelle, le fait qu'en vertu de la loi, c'est le patient francophone qui doit exiger une copie française des rapports et examens médicaux le rend vulnérable face à un système dont il est tout à fait dépendant.

Se mettre le médecin à dos sera-t-il le prix à payer pour faire appliquer une mesure que seuls les plus motivés oseront entreprendre à leur détriment?

Même si d'aucuns refusent de se l'avouer, on subit une forme d'oppression linguistique institutionnalisée, à laquelle il faudra bien mettre un terme une bonne fois pour toutes, en parachevant la reconfiguration institutionnelle souhaitée par Camille Laurin, le père de loi 101. Et cela commence par le CUSM.

L'Hôpital Lachine n'est que la pointe de l'iceberg de l'anglicisation de la santé

Rappelons qu'en 2014, la SSJB était intervenue lors de la Commission parlementaire sur le projet de loi 10 sur la réforme du système de santé par le ministre Gaétan Barrette. Elle y avait déposé un mémoire en plus de dévoiler les résultats d'une importante étude sur la bilinguisation des institutions de santé québécoises, produite par l'Institut de recherche en économie contemporaine (IREC).

Cette étude révélait notamment qu'alors que le français devrait être la langue du travail chez nous, plus de 35 % de tout le personnel soignant au Québec parle régulièrement ou le plus souvent en anglais au travail. Pour ce qui est de l'embauche, par exemple, dans le programme d'accès régional de Laval, on mentionne que le taux de personnel bilingue recherché est de 20 % à 25 %, alors que la population «d'expression anglaise» (nous reviendrons sur cette notion) est environ de 18,8 %. Entre 2001 et 2006, la portion du personnel soignant utilisant l'anglais le plus souvent ou de façon régulière au travail a augmenté, en moyenne, de 13,5 %.

Aujourd'hui, des 277 établissements du réseau de la santé québécois, plus de la moitié (149) offrent des services en anglais. De ce nombre, 38 sont désignés parmi les établissements reconnus bilingues en vertu de l'article 29.1 de la Charte de la langue française et offrent donc l'entièreté de leurs services en anglais. L'Hôpital de Lachine était le dernier hôpital uniquement francophone de l'ouest de l'île de Montréal, avant d'être rattaché récemment au McGill University Health Centre (MUHC). Or, en 2012, monsieur Réal Brochu, un patient de l'Hôpital de Lachine, déclarait ne pas avoir pu être soigné dans la langue officielle du Québec.

Enfin, quand on compare la vitalité des institutions anglophones au Québec avec la situation difficile des francophones dans le Canada anglais, qui n'ont la plupart du temps pas accès à des services de santé dans leur langue, il y a matière à se questionner. Comme d'habitude, le sacro-saint bilinguisme canadien n'est réellement en vigueur qu'au Québec, grâce à l'aplaventrisme de nos élites.

La complicité du gouvernement canadien

L'étude de l'IREC révélait de plus qu'entre 2008 et 2013, Patrimoine canadien a injecté plus de 45 M$ dans le système de santé du Québec dans le cadre de la Feuille de route pour la dualité linguistique canadienne. Ce budget a été partagé entre l'Université McGill et le Réseau communautaire pour la santé et les services sociaux (RCSSS). McGill a reçu 23 M$ pour développer un programme visant la formation et le maintien en postes des professionnels de la santé, lequel a formé 6 224 personnes depuis la création du programme en 2004. Le RCSSS a reçu pour sa part 22 M$ afin d'élaborer des programmes d'adaptation des services afin qu'ils soient encore plus accessibles en anglais, dont 7,5 M$ a été versé aux agences de santé, 9,5 M$ à des organismes communautaires anglophones partenaires et 2 M$ à l'Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) pour la production d'études.

Entre 2008 et 2013, le Ministère québécois de la santé et des services sociaux (MSSS) a quant à lui versé 4 876 797 $ aux 15 agences de santé du Québec pour leurs services en anglais. Sur le financement total reçu par les agences, ce montant correspond à 31,18 %.

L'expression «personnes d'expression anglaise»

En 1986, le gouvernement du premier ministre Robert Bourassa a modifié la Loi sur les services de santé et les services sociaux (LSSS) afin d'y inscrire le droit pour toute «personne d'expression anglaise» d'être servie en anglais dans le système de santé québécois. Cette notion de «personne d'expression anglaise» - qui englobe tous ceux qui, au Québec, baragouinent mieux l'anglais que le français, soit environ 13,5 % de la population - assimile en pratique tout allophone non francisé à un locuteur anglophone.

Ainsi, dans le régime actuel, on va bien au-delà de la protection de la minorité anglophone historique, laquelle ne représente qu'environ 3,5 % de la population. On institue par la porte d'en arrière un système de services bilingues qui fait de l'anglais la langue par défaut des allophones et, dans certains cas, du travail, ce qui contredit les principes mêmes de la Charte de la langue française voulant que le français soit la langue commune.

Or, dans un Québec français et non bilingue à la Trudeau, il ne devrait pas y avoir de bilinguisme institutionnel anglais-français dans les services publics. Il n'y a pas davantage de raison de conférer aux «personnes d'expression anglaise» un statut privilégié par rapport aux «personnes d'expression espagnole» ou chinoise, par exemple, qui fréquentent nos institutions francophones.

D'où la proposition de la SSJB de systématiser l'interprétariat dans le réseau de la santé, auquel on pourra faire appel lorsque le personnel n'est pas déjà en mesure de répondre adéquatement à des patients non-francophones. De sorte qu'un locuteur quasi-unilingue russe qui parle à peine quelques mots d'anglais pourra être servi dans sa langue, le russe, au lieu d'être rangé systématiquement dans la catégorie «personne d'expression anglaise». D'ailleurs, il ne risquera pas ainsi que le personnel soignant ne comprenne pas son anglais approximatif lorsqu'il parle de ses problèmes de santé. Voilà une solution inclusive, prudente et peu coûteuse, puisqu'il existe déjà des banques d'interprètes. C'est une solution qui respecte l'esprit et la lettre de la Charte de la langue française.

Considérant que le français doit être la langue officielle et commune au Québec, la langue des institutions et des services publics, la langue de l'intégration, et parce qu'on doit protéger le droit fondamental des Québécois de vivre et travailler en français, il est insensé que le gouvernement du Québec intériorise la philosophie inhérente à la Loi fédérale sur les langues officielles. D'autant plus qu'environ 95 % des personnes vivant au Québec comprennent le français, alors que depuis 1971, le nombre de Québécois dont la langue maternelle est l'anglais est en diminution constante. Il y a lieu de revenir à la vision de Camille Laurin en faisant du français la langue réellement officielle du Québec.

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