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Je vis seule et ne pourrai enlacer personne pendant des mois. Que puis-je faire d'ici là?

La distanciation physique, c'est pour notre bien, mais ce n'est pas agréable.

Au début, l’idée de rester à la maison pendant la pandémie ne m’a pas paru si terrible. J’avais même plutôt l’impression d’être bien préparée pour faire face à la situation.

Je travaillais à domicile depuis plusieurs mois déjà, avant que ça ne devienne la norme. Mon appartement de Toronto est sécuritaire et confortable (et, heureusement, j’ai encore les moyens d’en payer le loyer). Et puis, je suis naturellement quelqu’un qui apprécie les moments de solitude.

J’ai vraiment de la chance, et je m’en sortais bien… jusqu’à ce que je prenne conscience que ma quarantaine en solitaire impliquait aussi l’absence de contact physique avec qui que ce soit depuis le 11 mars. Plus important encore, que des mois allaient s’écouler avant de pouvoir à nouveau toucher quelqu’un.

En faisant ce constat tout haut, ma voix s’est mise à frémir et les larmes me sont montées aux yeux.

Je suis de nature tactile. Les embrassades sont légion dans ma famille et chez mes amis. Ces gestes d’affection sont parfois une manière de célébrer un évènement, de nous réconforter, mais la plupart du temps, ces accolades ne sont qu’une convention que j’ai toujours considérée comme allant de soi. Je m’en rends compte aujourd’hui.

Je me console en pensant à mon père, qui me serrera fort dans ses bras à la fin de la pandémie. Mais au fond de moi, je me demande si je ne vivrai pas cette étreinte comme une imprudence plutôt que comme un soulagement.
Ishani Nath
Je me console en pensant à mon père, qui me serrera fort dans ses bras à la fin de la pandémie. Mais au fond de moi, je me demande si je ne vivrai pas cette étreinte comme une imprudence plutôt que comme un soulagement.

Comme le souligne la psychologue Heather MacIntosh, chargée de recherche à l’Université McGill: «Nous touchons les gens d’une multitude de façons, sans même nous en rendre compte.»

Une poignée de main pour saluer une nouvelle connaissance ou une tape sur l’épaule sont autant de manières de nous connecter aux autres. Ces gestes contribuent à notre bien-être.

Les bienfaits du toucher sont bien documentés. On sait notamment qu’il contribue à renforcer les liens sociaux, à réduire le stress et à améliorer l’état de santé, même chez les patients atteints de cancer. Bref, le toucher (lorsqu’il est consenti et désiré) nous fait du bien.

«Il permet de stimuler les récepteurs de pression sous-cutanés, ce qui a pour effet de ralentir le système nerveux et le rythme cardiaque, de faire baisser la pression artérielle et d’orienter nos ondes cérébrales vers les phases de relaxation», explique Tiffany Field, fondatrice et directrice du Touch Research Institute à l’école de médecine de l’université de Miami.

Tout cela conduit à une diminution des niveaux de cortisol, l’hormone du stress, précise-t-elle, et peut aussi accroître la production de sérotonine, l’arme naturelle du corps pour lutter contre la dépression et la douleur.

Heather MacIntosh ajoute que les nombreux effets bénéfiques du toucher, qui s’étendent de la régulation de la pression artérielle au soulagement de la dépression, s’expliquent également par un autre phénomène: il permet d’activer le nerf vague, une voie nerveuse connectée à la plupart des organes vitaux et considérée comme jouant un rôle clé dans le bien-être.

«Les gens qui vivent seuls vont nécessairement avoir moins de contacts physiques avec les autres. Ils vont donc devoir se débrouiller par eux-mêmes», déclare Tiffany Field.
ShotPrime via Getty Images
«Les gens qui vivent seuls vont nécessairement avoir moins de contacts physiques avec les autres. Ils vont donc devoir se débrouiller par eux-mêmes», déclare Tiffany Field.

Prenez les choses en main… littéralement !

Pour ce qui est des personnes confinées en groupe, comme les familles, Tiffany Field pense que la pandémie pourrait les encourager à laisser leurs appareils de côté pour se reconnecter physiquement à leurs proches, dans le respect des directives de santé publique, bien sûr.

«J’espère que les nombreuses familles confinées vont profiter de cette période pour être plus tactiles», a-t-elle déclaré.

Les personnes qui vivent seules bénéficient déjà moins des bienfaits du toucher en temps ordinaire, et la pandémie pourrait bien aggraver les choses. Zoom et Google Hangouts sont des outils formidables pour rester en contact, mais Heather MacIntosh nous rappelle tout de même un point que nous avons tendance à oublier: il ne s’agit pas de véritables interactions. Je ne fais que regarder une image de toi qui regarde une image de moi. Alors, que faire?

«Les gens qui vivent seuls vont nécessairement avoir moins de contacts physiques avec les autres. Ils vont donc devoir se débrouiller par eux-mêmes», déclare Tiffany Field. En d’autres termes, nous devons littéralement prendre les choses en main.

La directrice du Touch Research Institute, qui est également confinée seule en ce moment, suggère de se mettre à l’automassage afin que notre peau reste stimulée et nos cellules activées. Massez-vous en exerçant une pression modérée avec vos mains ou, si cela vous gêne, avec une balle de tennis.

Sous la douche, utilisez une éponge végétale, une brosse dotée d’un long manche ou des savons exfoliants. Ces gestes peuvent sembler anodins, mais Tiffany Field assure qu’ils permettent d’activer la peau, et donc de contrer les effets néfastes engendrés par une privation de contact physique.

Heather MacIntosh précise tout de même que notre cerveau sait faire la différence entre les gestes que nous accomplissons nous-mêmes et ceux qui proviennent de quelqu’un d’autre. Se masser soi-même les pieds ne sera jamais tout à fait pareil que de se faire masser.

Toutefois, les bienfaits du toucher peuvent être obtenus de bien d’autres façons, en chantant ou en regardant des comédies par exemple, pour stimuler la production d’ocytocine, une hormone qui nous aide à nous sentir bien et à nouer des liens, ou encore en faisant de longues promenades pour activer le nerf vague.

«Les activités telles que le yoga ou la méditation n’ont apparemment pas grand-chose à voir avec un contact physique, mais permettent de stimuler les mêmes parties du cerveau et les mêmes processus chimiques», explique Heather MacIntosh.

Ces deux expertes m’ont ainsi encouragée à ne pas rester assise devant mon ordinateur à longueur de journée, ce qui, pour être honnête, résumait mon quotidien jusqu’ici. Après ces entrevues, j’ai essayé de me masser les pieds, les épaules et toutes les parties du dos que je suis parvenue à atteindre. J’ai aussi fait une longue promenade.

Ce soir-là, j’ai regardé Netflix en faisant des étirements, plutôt que de rester affalée sur le canapé. Je ne saurais dire si c’est parce que j’avais simplement besoin d’exercice ou parce que ma peau avait besoin d’être activée, mais j’ai l’impression que ça m’a fait du bien. À la fin de la journée, je me sentais mieux, alors j’ai décidé de continuer sur cette voie.

“Je me console en pensant à mon père, qui me serrera fort dans ses bras à la fin de la pandémie. Mais au fond de moi, je me demande si je ne vivrai pas cette étreinte comme une imprudence plutôt que comme un soulagement.”

- Ishani Nath

Les recherches sur le toucher parlent de «faim de peau». Ce terme peut sembler quelque peu répugnant au premier abord mais, comme l’explique Tiffany Field, il ne s’agit que d’une métaphore pour parler de ceux qui manquent de contacts physiques et dont la peau a «faim de mouvement». L’anthropologue Zoë H. Wool ajoute qu’il ne faut cependant pas oublier que le désir d’être touché se traduit différemment selon les individus.

«Renoncer aux contacts physiques, ça ne veut pas dire la même chose pour tout le monde. Notre rapport au toucher dépend beaucoup de notre histoire, de la manière dont ces expériences ont été vécues par le passé», déclare t-elle.

Un assistant de recherche de l’Université Rice a observé que de nombreux individus, à l’instar des personnes atteintes de troubles du spectre de l’autisme, n’apprécient guère d’être touchés de manière générale. Il est probable que ceux qui n’étaient déjà pas de grands fans des câlins ou des contacts physiques ne ressentent aucun manque pour le moment, et ce ne sera peut-être jamais le cas.

Pour d’autres, se saluer d’une accolade ou d’une bise est une pratique culturellement très ancrée. S’en priver peut être vécu comme un traumatisme.

Je me console en pensant à mon père, qui me serrera fort dans ses bras à la fin de la pandémie. Mais au fond de moi, je me demande si je ne vivrai pas cette étreinte comme une imprudence plutôt que comme un soulagement.

D’après Zoë H. Wool, nous ne pouvons pas prédire si notre perception du toucher sera affectée par la situation. Nous devrons le vivre pour le savoir. En attendant, Heather MacIntosh conseille de prendre conscience des répercussions d’un manque de contacts et de faire le nécessaire pour rester en bonne santé physique et mentale.

«La distanciation physique est nécessaire pour nous protéger les uns les autres, mais n’oubliez pas de prendre soin de vous», conclut-elle.

Ce texte, publié initialement sur le site du HuffPost Canada, a été traduit de l’anglais.

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