
Les propos de ce témoignage ont été recueillis par le HuffPost Québec et retranscrits à la première personne.
J’ai un parcours assez typique de femme qui a un comportement problématique avec l’alcool. Mais contrairement à d’autres, je l’ai toujours su.
Je l’ai su très tôt, parce que j’ai toujours bu vite. J’avais une grande tolérance à l’alcool, donc ça m’a vraiment amenée vite à des abus. Même si je ne buvais pas fréquemment au début de ma vingtaine, je voyais déjà que je buvais plus que tout le monde. C’était quelque chose dont j’étais consciente.
Je souffrais d’anxiété, donc l’alcool est vite devenu le «plaster» à ce problème, si tu veux. Petit à petit, la consommation de vin est devenue journalière et le pire, c’est que j’étais prof de fitness dans ma vingtaine! J’étais censée représenter le mode de vie super sain; je m’entraînais trois fois par jour, mais tous les soirs, je me tapais une bouteille de vin.
Au début de ma trentaine, c’est là que ma consommation a explosé. J’étais dans une situation où je ne savais pas quoi faire dans la vie, j’étais célibataire après une super longue relation amoureuse tumultueuse. Je me sentais désespérée et en plus, j’ai perdu un être cher à ce moment-là, donc c’est une période qui a augmenté mon anxiété. L’alcool est devenu la solution pour gérer ces problèmes-là.
Après ça, vers 32 ans, j’ai entrepris une thérapie. Je suis retournée à l’université et tranquillement, avec mon psychologue, j’ai commencé à questionner ma relation avec l’alcool.
Mais c’est deux ans après que j’ai arrêté complètement, pendant deux ans. Après, je me suis remise à boire, mais de façon modérée.
C’est pendant la pandémie que j’ai repris une consommation quotidienne abusive. Je me suis dit: «Non! Je dois reprendre mon mode de vie sobre à 100%.» Je suis maintenant complètement sobre depuis cinq mois et je ne regrette pas cette décision.

J’ai remarqué dans les dernières années que le profil des femmes qui ont des comportements problématiques avec l’alcool, des femmes d’affaires comme moi qui ont une famille, qui ont l’air d’avoir leur vie en main, qui sont super performantes, mais qui se tapent une ou deux bouteilles de vin en cachette, ça existait beaucoup dans mon entourage.
Juste autour de moi, j’avais plein d’amies qui avaient arrêté de consommer ou qui voulaient explorer la sobriété. J’ai entrepris de faire des rencontres en ligne; il n’y avait plus de réunions à l’extérieur. On faisait cela une fois par semaine, d’abord entre amies.
Au départ, on était cinq. Il y en avait qui étaient sobres depuis plusieurs années. D’autres n’avaient pas arrêté, mais questionnaient leur relation avec l’alcool. Finalement, elles ont toutes arrêté.
Je voyais que de plus en plus, les femmes étaient curieuses autour de nous. Avec le bouche-à-oreille, il y en a qui se sont greffées au groupe. Je pense que les femmes avaient vraiment envie de venir parler entre elles de leur relation avec l’alcool en français. En anglais, il y a plusieurs communautés qui existent dans ce style-là.
J’ai créé Sobre et branchée, une communauté en ligne destinée aux femmes. Et la communauté, qu’elle soit exclusivement au féminin, c’est pour aller déboulonner les idées préconçues. C’est encore très tabou, l’alcool chez les femmes, et je vois qu’elles vivent une grande détresse en ce moment par rapport à ça.
On est plus stigmatisées que les hommes. C’est pour ça que j’ai voulu créer un espace où les femmes peuvent venir ventiler sans filtre, qu’elles soient sobres ou encore aux prises avec des questionnements par rapport à ça. J’encourage même celles qui n’ont pas de problèmes aussi à s’intéresser à ça, parce que c’est un problème de société, en fait.
Ce que je trouve difficile - et ce que j’avais observé aussi pendant mes deux ans de sobriété -, c’est de me défaire de cette espèce d’idée romantique qu’on se fait de l’alcool; l’idée de boire un verre de vin rouge devant un feu au chalet, ou lorsqu’on voit sur Instagram des filles qui mettent des photos de leur verre de vin blanc avec un bain moussant… Cette idée-là que le vin, ça relaxe… Alors que c’est tout à fait le contraire, en réalité.
C’est quand même incroyable, la banalisation qu’on a faite de l’alcool dans notre société. Je dirais même que c’est comme glamour aussi. Il y a une espèce d’idée qui est véhiculée que c’est notre petite récompense à la fin d’une journée. C’est très ancré dans notre société.
Alors que c’est pas ça, l’alcool. Tu finis par boire une bouteille de vin et tu ne dors pas de la nuit. Tu es stressée le lendemain, tu te sens coupable...
Et un petit fait intéressant: c’est quand même drôle de constater que la SAQ est un commerce essentiel. Mais j’ai eu de la misère à acheter mes fournitures scolaires pour ma session d’hiver d’université. Donc je pense qu’il y a une réflexion collective qui doit avoir lieu. Je ne suis pas contre l’alcool, mais je suis pour le fait de dire ce qu’est l’alcool, d’arrêter de dire que c’est relaxant, que c’est bon pour la santé et de banaliser les comportements problématiques.
Apprendre à gérer son stress et son anxiété, ça fait partie aussi du cheminement quand on se dirige vers la sobriété. Moi j’ai quand même un sept-huit ans de thérapie personnelle derrière moi. J’ai développé beaucoup d’outils pour gérer mon anxiété.
Mais on n’a pas besoin de tout régler. Ça fait partie de la vie. Et d’apprendre à gérer ces situations-là au quotidien, c’est un cadeau. On n’a pas besoin d’avoir toujours quelque chose pour pallier à ces situations.
Accepter les choses qui sont là, c’est vraiment super. Donc je l’accepte, mon anxiété, je la vis. Mais elle est beaucoup moins présente. Je dirais que quand on arrête de boire, il y a déjà une grande partie de l’anxiété qui s’en va par elle-même, parce que boire régulièrement, c’est anxiogène.
Ce qui m’aide énormément, c’est de développer des routines de matin et de soir; c’est sûr que présentement, nos horaires sont un peu bouleversés par la pandémie. Mais je sais que le soir, j’aime bien prendre un bain, boire une tisane. Pour moi, c’est devenu beaucoup plus relaxant. Je prends des marches à l’extérieur. J’ai redécouvert beaucoup de choses que je ne faisais plus. Je lis beaucoup. Des activités qui détendent pour de vrai, en fait.
La pandémie, quand ça a commencé, ça m’a carrément poussée à reprendre ma consommation excessive d’alcool. C’est un comportement que je n’avais plus du tout depuis plusieurs années; ça a vraiment compromis ma santé mentale et physique. Pour moi, c’est primordial d’être sobre en ce moment pour affronter tous les défis qui vont avec la pandémie et qui vont venir avec l’après, j’imagine. On va encore vivre beaucoup de changement, de stress.
Pour l’instant, je dirais que la sobriété est somme toute assez «facile», vu qu’on n’a pas de rencontres entre amis, pas de sorties au resto, etc.
Vais-je reboire un jour? En fait, on ne peut jamais dire «jamais». C’est quand même un problème, c’est une dépendance. Pour l’instant, je suis tellement bien avec tout ce que je découvre, et en ayant d’autres femmes avec qui poursuivre la réflexion, je ne me vois pas recommencer à boire à court terme.
Quand je vais avoir 60, 65, 70 ans, je ne le sais pas. Mais en ce moment, j’ai vraiment des projets. C’est ce que l’alcool m’avait volé: la capacité d’avoir des projets, d’avoir ma vie en main. Pour l’instant, il y a tellement de choses que j’ai envie de faire, que ce n’est vraiment pas dans mes plans. Je prends ça un jour à la fois.
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Propos recueillis par Amélie Hubert-Rouleau.