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Je connaissais la solitude après une fausse couche. Le confinement l’a rendue pire.

Après ma première fausse couche, j’avais pu parler du deuil. Cette fois-ci, le confinement a rendu ça impossible.
nadia_bormotova via Getty Images

J’ai envoyé la photo du test à une amie. Elle la voyait aussi, cette seconde ligne rose qui confirmait mes soupçons de la semaine précédente. J’étais enceinte. Elle m’a envoyé ses félicitations, en majuscules avec plein de points d’exclamation et diverses émoticônes. Je l’ai remerciée, mais je ne pouvais pas m’autoriser à partager son excitation. La joie que j’aurais désespérément voulu ressentir ne parvenait pas à franchir la barrière de panique qui me faisait craindre le pire. Et si…?

«C’est une grossesse différente», m’a rappelé mon mari, avec raison. Mais je restais bloquée sur la première, celle qui avait échoué. Cette fausse couche, quatre mois plus tôt seulement, le jour du Nouvel An. «On a le droit d’être hyper contents», a-t-il ajouté, et je me suis efforcée de séparer ce bébé de celui dont je portais encore le deuil.

Contrairement à la fois précédente, nous n’avons pas discuté prénoms ni parentalité, ni parlé à mon ventre. Nous étions plus discrets dans nos projets d’avenir.

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Malgré tout, notre nouvelle existence commençait à se dérouler dans notre esprit. Mine de rien, nous nous sommes mis à évoquer la date du terme et le moment propice pour annoncer la nouvelle à nos parents. J’ai fait savoir à l’appli de mon téléphone que j’étais enceinte, et elle s’est empressée de m’informer que notre bébé faisait la taille d’une graine de sésame. Tout ça avait un air de déjà-vu.

“J’ai tout de suite su que l’histoire se répétait. L’avenir que mon mari et moi avions secrètement planifié était en train de disparaître.”

Une semaine a passé, et j’ai été un peu rassurée par ma nausée persistante. Le confinement me permettait de travailler de chez moi, je passais donc des journées entières en pyjama et faisais la sieste pendant ma pause diner. Mais mes craintes étaient plus fortes que jamais. Et si…? Chaque tiraillement dans le bas-ventre me faisait courir aux toilettes pour chercher des traces de sang. Heureusement, il n’y en avait pas.

Et puis, un matin, j’ai aperçu une petite tache, à peine visible, que je n’aurais pas vue si je n’avais pas minutieusement examiné chaque feuille de papier de toilette. J’ai passé la journée à supplier mon corps : pas encore, pas cette fois. Il m’a obéi pendant plusieurs heures, jusqu’au moment où j’ai ressenti une douleur aiguë à l’utérus, comme une feuille de papier que l’on déchire.

J’ai tout de suite su que l’histoire se répétait. L’avenir que mon mari et moi avions secrètement planifié était en train de disparaître.

La sage-femme m’a assuré que je pouvais sans danger laisser ma fausse couche se poursuivre naturellement. Je n‘avais pas besoin de retourner à l’hôpital, pas besoin d’être endormie pendant qu’on raclait mes entrailles pour en ôter cette vie perdue, pas besoin de signer un formulaire de consentement pour autoriser l’hôpital à incinérer «les restes».

Les jours suivants, j’ai saigné, souffert et maudit ce Dieu en qui je n’avais jamais cru. Je me sentais infiniment seule dans ce corps qui n’arrêtait pas de me trahir. Je savais qu’une grossesse sur quatre se termine en fausse couche, mais je ne comprenais pas pourquoi cela m’arrivait à nouveau. Je me suis mise à haïr mon corps et toutes ses machinations intestines. On ne pouvait pas lui faire confiance.

“Je voulais être avec ma famille, mes amis, tenir la main de mes proches et les sentir serrer la mienne quand j’en avais besoin. Mais le confinement m’en empêchait.”

Après ma première fausse couche, j’avais exprimé mon chagrin et pesté contre cette société qui refusait d’évoquer ouvertement la perte d’un enfant in-utéro. J’ai parlé publiquement de ma souffrance. D’autres femmes ont partagé leur vécu avec moi. Ensemble, nous avons abattu le mur de l’isolement. Mais j’ai mis d’autres gens mal à l’aise. Je les ai vus danser d’un pied sur l’autre et chercher laborieusement les bons mots, ou renoncer et changer maladroitement de sujet.

Après cette seconde fausse couche, je ne savais plus quoi dire. J’avais peur d’avoir épuisé les réserves de compassion de mon entourage. Je connaissais déjà les méandres de ce chagrin-là, alors je me suis autorisée à tout ressentir.

J’ai appelé ma mère et, même au téléphone, j’ai tout de suite senti combien elle brûlait de me serrer dans ses bras. Je voulais être avec ma famille, mes amis, tenir la main de mes proches et les sentir serrer la mienne quand j’en avais besoin. Mais le confinement m’en empêchait. La monotonie de la vie entre quatre murs n’offrait aucune échappatoire. Très vite, les pièces de ma maison se sont mises à rétrécir et le deuil a tout envahi. Je me languissais de l’Extérieur et de tous ces endroits épargnés par la souffrance.

Comme beaucoup de femmes qui ont subi le traumatisme d’une fausse couche, je suis allée sur Internet. Il y a plein de forums consacrés à ce deuil et de femmes qui prodiguent des conseils et racontent crûment leur expérience sur les réseaux sociaux, sans s’abriter derrière des euphémismes. Je me sentais enfin vue et entendue. Là, la société des «une sur quatre», autrefois secrète, s’affichait au grand jour sans craindre de se faire entendre. C’était libérateur de parler ouvertement à un public qui refusait de détourner le regard.

Parallèlement à ces conversations, je voyais défiler des commentaires désinvoltes sur les «bébés du confinement» dont la naissance est prévue en janvier 2021, date à laquelle le bébé que je venais de perdre aurait dû lui aussi voir le jour. Sur Facebook, je me prenais en pleine figure les annonces de grossesse, les photos de futures mamans tout sourire soutenant leur ventre rond, et le défi dix jours, dix photos sur le thème de la maternité.

Pourquoi elles et pas moi? C’est ce que j’avais en tête en pensant à toutes les mères de mon entourage. Je ne parvenais pas à donner un sens à ma propre situation. Comment continuer à vivre en tant que non-mère?

On parle ouvertement du corps de la femme post-partum, mais pas du mien. Alors je vais continuer à en parler, pour ma propre guérison et pour les innombrables femmes qui se sentent réduites au silence par une société qui n’a pas encore appris le langage nécessaire à cette conversation.

Ce blog, publié sur le HuffPost britannique, a été traduit par Iris Le Guinio pour Fast ForWord, pour le HuffPost France.

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