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Le Grand Prix et moi... ou les souvenirs (bons et moins bons) de Philippe Laguë (2e partie)

Dans quelques années, au centre d’accueil, je pourrai dire : «oui monsieur, oui madame, j’étais là!»
Archives de la Ville de Montréal/Flickr

Le chroniqueur automobile Philippe Laguë présente une série de textes où il fouille dans ses souvenirs du Grand Prix de Montréal.

1978 : « J’étais là ! »

Dans quelques années, au centre d’accueil, je pourrai dire : « oui monsieur, oui madame, j’étais là ! » Je m’en souviens très bien : il faisait frette en ta… ! Pas froid ; frette ! Le Grand Prix était disputé en septembre et ce jour-là, le ciel était gris et menaçant mais au lieu de la pluie, nous avons plutôt eu droit à quelques flocons de neige… Vous croyez que j’en beurre épais ? Demandez à n’importe quelle personne qui était présente à l’île Notre-Dame ce jour-là !

Depuis le départ, le Français Jean-Pierre Jarier, alias Godasse de plomb, survolait la course au volant de l’imbattable Lotus 79 à effet de sol. Gilles roulait bien sagement – contrairement à son habitude – derrière, soucieux de monter sur le podium pour cette première course « à domicile ». De toutes façons, la Lotus noire et or était hors de portée… jusqu’à ce qu’elle s’arrête. Pour de bon. Pendant que nous grelottions dans les gradins, transis de froid, les haut-parleurs du circuit ont annoncé l’abandon de Jarier, à cause d’un bris mécanique.

Un ti-cul de 13 ans a déjà de très bonnes dispositions pour les débordements d’enthousiasme mais là, ce fut le paroxysme ! Hystérie, délire, transe, appelez ça comme vous voulez : je ne me pouvais plus. Quand Gilles a croisé la ligne d’arrivée, j’ai versé une larme – rapidement essuyée pour ne pas passer pour une moumoune devant mon camarade de collège…

Ce qui s’est passé ensuite demeure vague. J’étais en transe, vraiment, et je me souviens m’être mêlé à la foule déferlant sur la piste, puis au pied du podium. Soudainement, le froid ne nous incommodait plus pantoute, comme on dit en bon québécois. Gilles Villeneuve, de Berthierville, Québec, venait de rejoindre le cercle fermé des vainqueurs de Grand Prix.

1979 : la chasse aux autographes

L’année suivante, tous les espoirs étaient permis : la Ferrari 312 T4 était l’une des meilleures du plateau, elle venait d’ailleurs tout juste de donner le titre de champion à Jody Scheckter, le coéquipier de Gilles. Sauf qu’à Montréal, la Williams-Ford d’Alan Jones était vraiment trop forte. Qu’importe : l’Australien et le Québécois se sont battus jusqu’à la fin, terminant la course dans cet ordre. Gagnant la première année, deuxième la seconde, Gilles nous a gâtés dès le début.

Et moi ? Cette fois, mon père n’a pas fléchi… Les résultats scolaires n’étaient toujours pas à la hauteur et j’ai été privé de Grand Prix. Enfin, pas tout à fait : j’ai eu un billet pour les qualifications, moins cher. Le chasseur d’autographes que j’étais s’en est donné à cœur joie : à cette époque, le circuit n’était pas gardé comme Fort Knox et j’ai pu escalader une clôture et me retrouver dans les paddocks. Je les ai tous : Gilles, bien sûr, mais aussi Andretti, Lauda, Jabouille, Arnoux et un tout jeune Nelson Piquet. Un seul n’a jamais voulu s’arrêter pour signer : Carlos Reutemann. L’Argentin était réputé pour son humeur variable et je suis visiblement tombé sur un mauvais jour.

1980 : Gilles et George

Même scénario en 1980 : pas de Grand Prix – mes notes, toujours… - mais un saut aux essais et un autre saut, au sens littéral cette fois, dans les paddocks. Avec ma plus belle prise à ce jour : un autographe de l’ex-Beatle George Harrison sur la page frontispice du programme officiel du Grand Prix. La signature est très lisible, identique à celle qu’on retrouve sur un de ses albums. (Je l’ai toujours. Y a-t-il un acheteur dans la salle ?)

Beatle ou pas, ma priorité demeurait l’autographe du maître des lieux. Or, en 1980, Gilles était de très mauvais poil pendant les qualifs. La 312 T5 était un veau et le héros local s’était qualifié, de peine et de misère, en fond de grille. Permettez-moi une comparaison : on sait tous comment Patrick Roy, le joueur et l’entraîneur, est un fier compétiteur, allergique à la défaite ; Gilles était taillé dans le même bois. Quand je l’ai croisé dans les paddocks, en lui tendant mon stylo et mon programme, il bouillait et m’a lancé un « j’ai pas le temps ! » pour le moins lapidaire. « Come on, Gilles, on est ici pour toi », ai-je osé lui répondre… Sa femme, Joann – Dieu que je la trouvais belle ! – marchait à ses côtés ; elle a pris mon programme et m’a dit de l’attendre. Elle est ressortie de leur roulotte avec la précieuse griffe de son mari. Comment oublier ça ?

Comment oublier ma conversation avec Jean-Pierre Jabouille, tous deux assis sur une table de pique-nique ? Un garde de sécurité m’a aperçu et m’a demandé de déguerpir, sachant très bien que je m’étais faufilé là où je n’avais pas d’affaire. Jabouille lui a fait un signe de la main signifiant que tout était correct et que je pouvais rester avec lui. Et la conversation a continué, pendant 5 ou 10 minutes, peut-être 15… Un ado de 16 ans n’oublie jamais ces choses-là.

1981 : le miracle

Plus mon secondaire avançait, plus mes notes dépérissaient… Sexe, drogue et rock’n roll. Ou plutôt : quête inlassable mais rarement fructueuse de sexe, beaucoup d’alcool (et un peu de dope) et du gros rock partout, tout le temps. Les shows au Forum, les disques et la bière siphonnaient mon budget et ça ne regardait pas très bien pour le Grand Prix…

Puis le miracle s’est produit. Un de mes oncles était propriétaire d’un magasin de pièces d’autos et un de ses fournisseurs - Bardhal, je crois - lui avait donné un billet pour le Grand Prix. Pas n’importe lequel billet : un des meilleurs, à 75 $ ! Qui en a hérité ? Bibi. Oh yessss ! Encore une fois, j’ai gelé comme un rat. Et cette fois, le déluge redouté a bel et bien eu lieu. Résultat : une solide grippe dans les jours qui ont suivi.

Qu’importe. J’ai pu voir, cette année-là, une des courses qui ont bâti la légende de Gilles Villeneuve. Son aileron avant qui devient tout croche, après un contact ; puis, l’aileron qui se détache complètement. Juste devant les gradins où j’étais ! Sous la pluie, sans appui sur les roues avant, c’était comme conduire sur la glace vive ; mais quand on s’appelle Gilles Villeneuve et qu’on a été champion de motoneige, c’est là que le fun commence ! Il a terminé 3e, montant sur le podium pour la 3e fois en quatre ans. Magistral. Et inoubliable, encore une fois.

C’est la dernière fois que j’ai vu Gilles piloter. La dernière fois où je l’ai vu, point.

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