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«Titus» de Shakespeare: la tragédie comme on ne s'y attend pas

Amour, guerre, batailles, meurtres, mutilations, viols, trahisons, complots, tout ce que la nature humaine recèle de plus noir se retrouve dans cette histoire.
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Charles Fleury

Retrouver ou découvrir le talent pour la mise en scène d'Édith Patenaude (Mes enfants n'ont pas peur du noir, 1984 ) est un bonheur qu'on peut apprécier en allant voir ce Titus de Shakespeare présenté au Théâtre Prospero. Édith Patenaude donne à cette pièce peu jouée du Barde une forme inattendue tout en y ajoutant des perspectives nouvelles pour en faire un spectacle où la terrible fatalité de cette histoire tordue est allégée par le regard original qui y est posé.

Je ne peux pas tout raconter ce qui se passe dans cette pièce qui dure moins de deux heures, le contenu suffirait à nourrir la saison touffue d'une série télévisée qui, je n'en doute pas, aurait beaucoup de succès. Amour, guerre, batailles, meurtres, mutilations, viols, trahisons, complots, tout ce que la nature humaine recèle de plus noir se retrouve dans cette histoire. Alors je résume: Titus, général romain, revient à Rome après avoir conquis de nouveaux territoires. Parmi ses prisonniers, la reine des Goths, Tamora, ses fils, Chiron et Démétrius et son amant Maure, Aaron. Titus a tué le fils aîné de la reine afin de venger la mort au combat de ses propres fils. Après son arrivée, Titus se voit offrir le titre d'Empereur qu'il refuse au bénéfice de Saturnius. Ce dernier désire épouser Lavinia, la fille de Titus, mais c'est sans compter la haine féroce que Tamora porte à cette bande de Romains qu'elle ne vise qu'à détruire. Les deux fils survivants de Tamora vont violer et couper la langue et les mains de Lavinia, Saturnius va épouser Tamora (eh oui), celle-ci va donner naissance à l'enfant d'Aaron dont elle était enceinte et violences et exactions seront sans fin. Et il arrive aussi des tas d'autres choses. Bien sûr que tout ça est totalement invraisemblable, mais j'ai embarqué complètement dans cette histoire de fous, j'ai été fascinée du début à la fin et ne me suis pas ennuyée une seconde.

Car il y a bien de l'astuce dans cette production des Écornifleuses. Édith Patenaude a fait le choix de donner les rôles masculins à des femmes et les rôles féminins à des hommes. Une fois la surprise initiale passée, tout se tient; la convention à laquelle on nous demande de souscrire fonctionne absolument et on n'y pense même plus. Et puisque l'histoire et ses nombreux rebondissements risquent de confondre le spectateur qui est en droit de se demander parfois: mais diantre, que se passe-t-il, je suis tout mêlé... les comédiens interviennent avec beaucoup d'humour pour nous permettre de suivre tous les imbroglios de Titus, soulignant en même temps l'absurdité de certaines situations. Le tout est livré dans une langue qui mélange les accents shakespeariens à un registre beaucoup plus familier, ce qui peut donner, par exemple : -Mais cet enfant est de sang royal...-J'm'en câlisse! Ce qui allège aussi un peu l'atmosphère de cette plongée dans la noirceur la plus noire de la nature humaine, il faut bien le dire.

Tous les comédiens de cette production sont excellents, vinaigrés, dissonants, nous transmettant les émotions déferlantes de ces êtres qui ne vivent que par le drame et la tragédie dans un univers chaotique, lubrique rempli de sentiments belliqueux.

Tous les comédiens de cette production sont excellents, vinaigrés, dissonants, nous transmettant les émotions déferlantes de ces êtres qui ne vivent que par le drame et la tragédie dans un univers chaotique, lubrique rempli de sentiments belliqueux. En fait, certains d'entre eux, dont Aaron, sont des psychopathes finis. Toute cette violence est d'ailleurs suggérée plutôt que montrée, aidée en cela par la musique de Mykalle Bienliski et les éclairages de Jean-François Labbé.

J'ai donné une place à Tamora dans mon palmarès des Plus Extraordinaires Méchantes de l'Histoire et de la culture populaire. Elle figure avantageusement aux côtés de Cruella Deville, d'Alexis Carrington (Dynasty), de Nina (24) et, bien entendu, de Jezabel. (Je n'ai pas de palmarès pour les hommes, il y en aurait trop.) Mais j'ai surtout retenu que cette histoire abracadabrante trouve le moyen, grâce à cette mise en scène ludique, inventive et intelligente, d'être aussi extrêmement divertissante. Même après avoir plongé dans ces abîmes d'horreur et de méchanceté, on ressort séduits et revigorés par cette vision inhabituelle et extrêmement réussie de la tragédie classique. Y est sûrement pour quelque chose la deuxième fin qu'Édith Patenaude a ajoutée et qui est comme un lumignon que l'on voit au loin dans une forêt très, très sombre.

Titus: Une production Les Écornifleuses, au Prospero jusqu'au 24 février 2018.

Avril 2018

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