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«Tu aurais pu être médecin, mais tu es juste infirmier»

Ma mère, en me disant que j’étais juste infirmier, m’a choqué.
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Le titre de ce billet reprend exactement ce que ma mère m'a dit au début de ma maîtrise en sciences infirmières il y a bientôt deux ans. Sur la défensive, je lui ai répondu : « Maman, toi aussi tu es juste infirmière ! » D'une certaine façon, c'est comme si ma mère n'avait jamais réalisé à quel point son travail comme assistante-infirmière-chef dans un bloc opératoire de Montréal n'avait rien d'ordinaire ou de simple.

Cette tendance qu'ont les infirmières à se dévaloriser est bien connue dans les études scientifiques depuis près de 35 ans. Historiquement, la profession infirmière a été dominée par la profession médicale. Cette domination s'exprime notamment à travers le pouvoir décisionnel dans les hôpitaux. Bien que la pratique infirmière s'articule autour de l'évaluation clinique des patients, elle se situe tout autant autour de l'exécution d'ordonnances médicales. Ainsi, on devine des vestiges de domination dans la sphère professionnelle.

Quand on favorise un groupe avec du pouvoir, de l'argent et de la reconnaissance : le réflexe est de vouloir ressembler à ces individus.

Sur différents plans, un déséquilibre relatif au pouvoir existe entre celui des médecins et des infirmières. Ce déséquilibre fait en sorte que les caractéristiques désirables correspondent à celles mises de l'avant par le groupe dominant. Quand on favorise un groupe avec du pouvoir, de l'argent et de la reconnaissance : le réflexe est de vouloir ressembler à ces individus. Ainsi, les personnes opprimées se dévalorisent. C'est loin d'être leur faute.

J'aurais certainement voulu réaliser des opérations à cœur ouvert ou réparer des os brisés, toutefois, cela n'enlève rien à la valeur de ce que je fais comme professionnel. Que cela soit clair, que nous soyons infirmières, inhalothérapeutes, préposées aux bénéficiaires ou n'importe quel autre professionnel de la santé, ce que nous faisons au quotidien a une valeur inestimable pour la population québécoise. À vrai dire, il est possible de faire fonctionner un hôpital avec un effectif médical réduit considérablement : c'est d'ailleurs le cas de nuit et la fin de semaine. Inutile de vous dire qu'il n'y a qu'une poignée de médecin dans un hôpital dans la nuit de samedi à dimanche. À proportion égale, il serait impensable de réduire l'effectif infirmier de la même façon lors des fins de semaine.

Ma mère, en me disant que j'étais juste infirmier, m'a choqué. Mon réflexe d'autodéfense a été d'attaquer ses mots. Quand j'y repense, c'est probablement ma frustration en regard du peu de pouvoir que nous avons qui a fait que j'ai été brusque. Bon nombre d'infirmières expriment leur colère entre elles puisqu'elles ont peur des représailles de leurs supérieurs. Au lieu d'ébranler les acteurs qui maintiennent les structures de pouvoir telles qu'elles existent, celles-ci s'en prennent à leurs homologues. C'est d'ailleurs cette violence horizontale qui nous nuit.

Comment sortir de ces situations problématiques ? Selon la recherche, comprendre d'où proviennent la dévalorisation et la violence horizontale est primordial. La théorie des groupes opprimés offre une perspective intéressante à ce sujet (voir l'article plus bas sur lequel je base cette réflexion). Par la suite, il nous est essentiel de camper les caractéristiques désirables pour les travailleuses de la santé. C'est à nous de les identifier. Encore faudrait-il que le gouvernement collabore, en modifiant conditions d'exercices, pour nous permettre de soigner à la hauteur de notre compétence.

La prochaine fois que tu me diras que j'aurais pu être médecin, je te dirai que j'ai choisi de devenir infirmier et que c'est possible de poser des actions valorisantes au quotidien.

Alors, maman, considérant tout ce que tu as fait au bloc, tu es loin d'être juste une infirmière. La prochaine fois que tu me diras que j'aurais pu être médecin, je te dirai que j'ai choisi de devenir infirmier et que c'est possible de poser des actions valorisantes au quotidien. Les inquiétudes et les suggestions des groupes opprimés devraient guider les transformations nécessaires au système de santé. À quoi servirait un système de santé sans infirmières, inhalothérapeutes, préposées aux bénéficiaires, physiothérapeutes, ergothérapeutes et travailleurs sociaux s'ils ne peuvent contribuer à son amélioration?

Pour en savoir plus: Roberts, S.J., Demarco, R et Griffin, M. (2009). The effect of oppressed group behaviors on the culture of nursing workplace : a review of the evidence and interventions for change. Journal of Nursing Management, 17(1), 288-293.

Avril 2018

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