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Ukraine: Ioulia Timochenko bientôt libre pour ne pas bloquer le rapprochement avec l'Union européenne

Ioulia Timochenko bientôt libre: l'UE remporte son bras de fer avec l'Ukraine
AFP

On sent poindre un certain agacement quand on évoque le cas Ioulia Timochenko devant le Premier ministre ukrainien. Interrogé le 10 octobre dernier à Kiev par un groupe de journalistes européens (dont faisait partie Le HuffPost), Mykola Azarov s'est dit prêt à répondre à toutes les questions concernant sa prédécesseure, condamnée en octobre 2011 à sept ans de prison pour abus de pouvoir.

D'humeur sombre, le bureaucrate proche du président Viktor Ianoukovitch a toutefois regretté que les dirigeants d'un pays de 45 millions d'habitants "en proie à de nombreux défis" soient systématiquement interrogés à propos de l'ex-égérie de la Révolution orange de 2004. Une manière d'exprimer ce que beaucoup de responsables politiques ukrainiens admettent en privé : l'Ukraine ne doit pas être otage du sort d'une seule personne, notamment si celle-ci fait l'objet de nombreuses poursuites judiciaires.

Car l'emprisonnement de loulia Timochenko pourrait sérieusement remettre en cause la signature de l'accord d'association que doivent signer l'Ukraine et l'Union européenne le 29 novembre prochain à Vilnius (Lituanie). L'aboutissement d'un long et difficile processus entamé en 2007. La libération de l'ancienne Premier ministre est en effet une condition préalable de l'Union européenne à la signature de l'accord.

À un peu plus d'un mois du sommet de Vilnius, l'idée d'un "compromis" menant à la libération de Timochenko fait son chemin en Ukraine. Le président ukrainien a fait jeudi 17 octobre un pas supplémentaire vers la libération de l'opposante, déclarant qu'il signerait un texte permettant son transfert à l'étranger si le Parlement adopte une telle loi. Le président a cependant laissé entendre que si la loi était approuvée, la procédure de transfert à l'étranger pourrait prendre du temps.

Reste à savoir si cela sera suffisant aux yeux de l'Union européenne, qui pourrait avoir à reconsidérer ses exigences. À ces gages "de bonne volonté" des autorités ukrainiennes s'ajoutent les pressions et menaces de la Russie voisine. En août dernier, l'ensemble des marchandises arrivant d'Ukraine avaient été bloquées à la douane russe. Un peu plus tôt, Moscou avait interdit l'importation de chocolats ukrainiens pour des motifs sanitaires fantaisistes. Un avant-goût, avait dit la Russie, des conséquences de la création d'une zone de libre échange entre l'UE et l'Ukraine, principale mesure de l'accord d'association.

Pendant longtemps, Moscou a espéré que l'ex-pays d'URSS fasse le choix de la Russie et rejoigne son union douanière avec la Bélarus et le Kazakhstan, préalable à la création d'une Union eurasiatique en 2015. En Europe, ces sanctions ont favorisé le consensus sur le rapprochement avec l'Ukraine et détourné les regards du cas Timochenko.

"Personne ne peut dire si elle coupable ou non"

"Timochenko est devenue un symbole en Europe", indique au HuffPost le sénateur Hervé Maurey (UDI), président du groupe interparlementaire d'amitié France-Ukraine. "Pour autant, poursuit-il, personne ne peut dire si elle coupable ou non. En revanche, l'argument des autorités ukrainiennes selon lequel une éventuelle libération n'aurait jusqu'à maintenant aucune base légale ne tient pas". En août dernier, le président ukrainien a ainsi gracié six proches de Ioulia Timochenko, dont l'ancien ministre de l'Intérieur Iouri Loutsenko et l'ancien ministre de l'environnement Georgy Filiptchouk.

Malgré les démentis du pouvoir ukrainien, Volodymyr Polochaninov, député du parti Batkivshchyna (Patrie), créé en 1999 par Ioulia Tymochenko, estime que le président ukrainien - "le plus puissant qu'a connue l'Ukraine"- a toutes les cartes en main pour libérer l'ancienne Premier ministre, symbole de la "justice sélective" que l'UE dénonce. "Ianoukovitch s'est lui-même créé ce problème, poursuit le député, aujourd'hui il n'a plus d'autres choix que de la libérer afin qu'elle aille se faire soigner en Allemagne". Avertissant Kiev que la "fenêtre d'opportunité" pour un rapprochement avec l'UE pourrait se refermer, l'Allemagne a à plusieurs reprises proposé d'accueillir Ioulia Timochenko (qui souffre de hernies discales) pour des soins médicaux.

Face à une opinion publique profondément partagée (à la fois sur le sort de Timochenko et sur l'accord d'association avec l'UE), libérer l'opposante n'est pas sans risque pour le pouvoir ukrainien. D'abord, les autorités veulent faire en sorte d'empêcher Ioulia Timochenko de participer à la présidentielle de 2015. Une libération sans conditions pourrait remettre dans le jeu cette redoutable adversaire, toujours très populaire en Ukraine (elle avait recueilli 45,47% des suffrages au second tour de l'élection présidentielle en 2010).

Ensuite, une éventuelle libération enverrait un mauvais signal aux partisans de Viktor Ianoukovitch. Ils considèrent l'ancienne Premier ministre -par ailleurs impliquée dans d'autres procédures judiciaires que celle pour laquelle elle est actuellement emprisonnée- comme responsable des nombreux maux du pays et verraient dans cette libération une nouvelle illustration d'une justice à deux vitesses. "J'ai vu des gens malades en phase terminal qui eux aussi aimeraient aller se faire soigner à l'étranger. L'Allemagne veut-elle les accueillir eux-aussi ?", s'interrogeait malicieusement Valeria Lutkovska, commissaire des droits de l'Homme du Parlement ukrainien, quand Le HuffPost l'a rencontrée à Kiev le 9 octobre dernier.

Une réhabilitation semble hors de propos

"Une solution humanitaire". C'est ainsi que Mykola Azarov qualifie un éventuel transfert de l'opposante en Allemagne. C'est à ses yeux la seule solution. "Aujourd'hui les dirigeants européens ont compris que Mme Timochenko a commis un vrai crime. Elle aurait été condamnée dans n'importe quel pays européen, assure le Premier ministre. Mais comme il s'agit d'une femme, malade qui plus est, on nous parle de prisonnier politique. Nous attendons désormais un geste de sa part, mais nous sommes tout près d'avoir résolu ce problème".

Si une "réhabilitation légale et politique" (telle qu'elle est demandée par de nombreuses personnalités françaises, dont Robert Badinter, Daniel Cohn-Bendit, Michel Rocard ou Jack Lang) semble encore lointaine, voire hors de propos, le transfert de l'opposante en Allemagne est donc proche. Ioulia Timochenko, qui refuse de demander une grâce au président Ianoukovitch -ce serait un aveu de culpabilité et légitimerait une condamnation qu'elle dénonce- a accepté le principe d'un transfert en Allemagne. Avant le sommet de Vilnius du 29 novembre, le pouvoir ukrainien devrait toutefois s'attacher à trouver des mécanismes juridiques pour qu'elle ne puisse plus s'engager personnellement en politique. L'exil de l'opposante pourrait durer... au moins jusqu'en 2015.

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