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Un athlète, ça ressemble (aussi) à ça

Les athlètes en surpoids sont absents des pages des magazines, les livres de fitness sur le sujet sont très rares, et les gros sont généralement abonnés aux rôles d'empotés et de petits marrants au cinéma.
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À quelques heures de mon premier semi-marathon, après un vol Vancouver-San Francisco, l'excitation m'a déjà épuisée. Je me lève à six heures, je me brosse les dents et, folle d'inquiétude, je lace mes chaussures. Je prends un taxi qui m'emmène au Golden Gate Park, où se tient le 30e 5K and Half Marathon Race. Dès mon arrivée, je sens l'effervescence qui règne autour de moi, l'impatience de la foule, les gens qui parlent fort et les rires qui fusent tandis que des milliers de personnes se dirigent vers la grande arche. Elle marque le début de ce qui sera la journée la plus éprouvante de toute ma vie au niveau physique. Je suis apaisée, et je n'arrête pas de me répéter: "Tu peux y arriver, tu peux y arriver." Je commence à y croire.

Je finis par accéder aux longues tables où s'affairent les bénévoles et les coureurs. Un jeune homme distribue des packs, et ce moment apparemment anodin s'avère très révélateur de l'attitude des gens vis-à-vis de ceux qui sont en surpoids.

Je lui donne mon nom, et il le répète dans un murmure. Il lève les yeux vers moi et s'empare aussitôt du pack pour la course de cinq kilomètres car il estime, sans même me demander mon avis, que je vais faire le petit parcours. Mon corps lui a envoyé le message subliminal que j'étais incapable d'aller jusqu'à la fin de l'épreuve. S'il s'agissait d'un cas isolé, cet article n'aurait pas lieu d'être. Mais je suis constamment confrontée à ce genre de situation, comme d'autres personnes dans mon cas. Cela peut être une remarque déplacée, une réaction de surprise, ou l'analyse détaillée de ce que mon corps est censé pouvoir faire. La plupart du temps, les gens sont déconcertés quand je leur dis que je suis coach sportive et que je dirige une salle de sport. Ils m'adressent toutes leurs "félicitations", comme on s'adresserait à un tout petit qui ne fait plus dans sa couche, autre signe qu'ils considèrent ma participation comme une anomalie.

Je corrige brusquement le jeune homme: "Je suis là pour le semi-marathon." Surpris et gêné, il se met à chercher le bon pack dans l'autre boîte. Je prends mon brassard et le maillot (trois tailles trop petit) aux couleurs de la manifestation, et je rejoins mon mari, un peu à l'écart. Mon excitation et ma voix intérieure se sont évanouies. Nous attendons en silence le départ de la course. Je ne peux pas m'empêcher de me sentir vaincue, de penser que je n'ai rien à faire ici, alors que je m'entraîne depuis des mois et que j'ai parcouru des centaines de kilomètres. J'essaie d'être positive, parce que je sais que c'est indispensable pour réussir la course.

A vrai dire, je n'en veux pas à ce jeune homme d'avoir pensé, en me regardant, que j'étais dans la catégorie des cinq kilomètres (une distance déjà fort respectable). Pourquoi se dirait-il que ce corps XXL est capable de tenir 21 longs kilomètres alors que rien, dans notre quotidien, ne permet de croire que c'est faisable?

Les athlètes en surpoids sont absents des pages des magazines, les livres de fitness sur le sujet sont très rares, et les gros sont généralement abonnés aux rôles d'empotés et de petits marrants au cinéma. Dans la pub, les acteurs qui vantent les mérites des différents produits et services sont quasiment toujours minces. La présence des obèses se limite habituellement au « avant » des pubs pour les régimes ou les centres de fitness. En dépit des diverses études qui démontrent que l'on peut être en forme tout en étant gros, la plupart des gens ne vont pas au-delà de l'image véhiculée par les publicitaire. Résultat : les athlètes qui ne correspondent pas aux "normes" sportives en vigueur doivent s'attendre à toutes sortes de stéréotypes quand ils participent à des courses ou qu'ils s'entraînent en salle. Malgré cela, nous continuons à courir et à changer le regard des gens.

La triathlète Wendy Welsher a vécu cela.

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"C'est toujours intimidant d'aller dans une salle de gym quand on est grosse. Pour moi, tout a changé quand j'ai rencontré ma coach, Rossanna. Elle m'a poussée à devenir athlète en observant mon potentiel, pas mon tour de taille. Elle m'a ensuite encouragée à devenir coach à mon tour, pour que je puisse aider les filles qui sont dans mon cas." Ce n'est qu'après avoir trouvé le soutien qu'il lui fallait que Wendy s'est surpassée physiquement.

La coureuse cycliste Natalie Dzepina se souvient, elle aussi, que les gens la montraient du doigt en riant pendant les courses: "Je me suis fait traiter de 'grosse' plus d'une fois. Je crois que les gens sont gênés quand ils voient une fille obèse courir. Comme si sa place était sur le canapé, avec un paquet de chips. Tant que je cours, ce genre de réaction ne me dérange pas."

Même si on peut être déçu par ces jugements et cette discrimination, la morale à tirer de cette histoire n'est pas qu'il faut se poser en victime, mais plutôt qu'il est nécessaire de militer pour une plus grande diversité en athlétisme. Pour la simple raison que les préjugés ont la vie dure, et qu'ils constituent un obstacle insurmontable pour les obèses qui ne cesse d'entendre « faites du sport, mangez moins » chaque fois qu'ils vont chez le médecin, qu'ils allument la télé ou qu'ils feuillettent un magazine. Beaucoup d'entre eux souhaitent être actifs, mais le regard des autres les paralyse. La vraie crise sanitaire en Amérique du Nord, ce n'est pas l'obésité mais la façon dont nous y réagissons.

Krista Henderson, une triathlète chevronnée, tient un blog à succès sur l'athlétisme XXL, Born to Reign.

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(Photo Credit: Mike Cheliak)

Elle écrit: "Les physiques sains, et les moins sains, il y en a pour tous les goûts. Je trouve déplorable que les médias en véhiculent une image si peu conforme à la réalité, avec ces corps sculptés et ces abdos en tablette de chocolat. L'industrie du fitness est bien trop dépendante de l'esthétique."

Beaucoup de gens pensent qu'on ne peut pas être en bonne santé si l'on est gros, mais de plus en plus de chercheurs réputés et d'agences réfutent cette idée.

Les travaux de Steven Blair, un spécialiste du sport à l'Ecole de santé publique de l'université de Caroline du Sud, tendent à démontrer que les questions de surpoids ont bien moins d'importance que le manque d'exercice et les problèmes cardiovasculaires. Il affirme même que les obèses qui font régulièrement du sport vivent plus longtemps que les gens, plus minces, qui n'en font pas.

En 2012, aux Etats-Unis, l'Institut national contre le cancer a confirmé cette hypothèse en remarquant que la pratique d'un sport "contribuait à allonger la durée de vie de toutes les personnes observées: celles dont l'indice de masse corporelle était dans la moyenne, les gens en surpoids et les obèses."

Une autre étude, publiée dans le European Heart Journal, indiquait que les obèses dont le métabolisme est sain (au niveau de la pression artérielle, du taux de cholestérol et de glycémie) n'avaient pas plus de risques de mourir d'un infarctus ou du cancer que les personnes qui n'étaient pas en surpoids.

Malgré ces études et le nombre toujours plus grand d'athlètes XXL, les jugements et la discrimination n'ont pas disparu, même au plus haut niveau.

Dans les médias, les articles sur le sujet suscitent la controverse. La joueuse de tennis Taylor Townsend, âgée de 18 ans, a fait sensation en battant la 21e joueuse mondiale, Alize Cornet, et en se qualifiant pour le troisième tour à Roland-Garros. Elle est la plus jeune Américaine à être allée si loin. Pourtant, trois ans auparavant, en dépit de ses succès grandissants, la Fédération de tennis des Etats-Unis avait tenté de l'empêcher de participer à l'US Open tant qu'elle n'aurait pas perdu ses kilos en trop.

Elle n'est pas la seule.

Récemment, Yahoo Shine a publié un article sur le joueur de baseball Prince Fielder et la photo qui le montrait, dans le plus simple appareil, en couverture du magazine ESPN.

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Il fait partie de l'équipe des Texas Rangers depuis 2002, et il a remporté cinq fois le titre de All-Star. Hélas, le titre de l'article était: "Cet athlète est stigmatisé parce qu'il est gros".

Cette publicité négative est décourageante. Tandis que des athlètes obèses comme moi continuent à s'entraîner et à s'inscrire aux courses et aux centres de sports, ils se demandent où sont tous les autres dans leur cas. Si la crème des athlètes est ainsi examinée sous toutes les coutures, quel message envoie-t-on à l'amateur qui ne fait que regarder et espère un jour participer ? Les gens se méfient de la culture physique, et ils ont raison.

On ne peut pas à la fois nous rabâcher que le sport est important et nous humilier et nous juger quand nous en faisons.

Ce jour-là à Golden Gate Park, je me suis surpassée. J'ai couru 2 h 51 et j'ai franchi la ligne d'arrivée en pleurant de joie parce que j'y étais arrivée. J'avais failli abandonner, mais je savais que mon mari, mon plus grand fan, m'attendait là-bas. Je me demande souvent ce qui se passerait si tout le monde avait la chance de se sentir soutenu par ses proches, voire même -et surtout- par de parfaits inconnus.

J'ai participé depuis à plusieurs autres courses à pied et à vélo, et je me fiche désormais de ce que pensent les gens. Je veux participer et motiver d'autres personnes à accomplir leurs rêves sportifs.

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Photo Credit: Ryan Hickmore

Comme l'a si bien dit Teddy Roosevelt, dans un discours historique prononcé en 1910:

Le critique importe peu: il ne fait que souligner le moment où l'homme fort trébuche, ou la façon dont il aurait dû faire les choses. Le vrai crédit va à celui qui se trouve dans l'arène, le visage sali de poussière, de sueur et de sang, luttant courageusement. Celui qui commet des erreurs, se trompe plusieurs fois mais qui, à force d'obstination, finit par réussir, car il n'existe pas d'effort sans erreur. Celui qui s'enthousiasme, se passionne et dépense son énergie sur ce qui vaut la peine. Qui, dans le meilleur des cas, remporte la victoire, et qui, au pire, échoue en ayant beaucoup osé.

Nous avons l'ambition de transformer le paysage de l'athlétisme. Nous aimerions simplement que la société prenne un peu de recul, s'imprègne de cet article, et nous en laisse la possibilité.

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