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Vos résolutions du Nouvel An sont-elles réellement un libre choix?

Avez-vous déjà entendu parler de la «biocitoyenneté»?
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«Je devrais vraiment mieux prendre soin de moi.»

Qui ne s’est pas fait cette réflexion au moins une fois l’an passé? Et peut-être avez-vous pris quelques résolutions de santé pour 2019 — réduire la malbouffe, faire plus d’exercice tous les jours, pratiquer la méditation ou dormir davantage?

En 2014, l’Enquête sur la santé des collectivités canadiennes (ESCC) a indiqué que 72% des répondants estimaient qu’ils devaient faire quelque chose pour vivre plus sainement — une hausse de 13,9 pour cent par rapport à 2001.

77% d’entre eux prévoyaient de faire quelque chose pour améliorer leur santé, comme réduire le stress, changer leurs habitudes alimentaires ou faire plus d’exercice et dormir davantage – une autre hausse de 9,5% par rapport à 2001. Et 59% d’entre eux avaient déjà réalisé quelques améliorations.

Il ressort clairement de ces statistiques que le «santisme» — un fort degré de sensibilisation concernant la santé, le mode de vie et les pratiques reliées à la prévention des risques et des maladies — est en hausse.

“Vous souvenez-vous du bon vieux temps quand Ottawa payait 50% des dépenses en soins de santé des provinces?”

À première vue, ceci peut apparaître comme un changement culturel positif. Qui peut s’opposer aux efforts pour rester en santé? Mais il y a une autre facette du santisme — une tendance à laisser reposer la responsabilité de la santé et du bien-être directement sur les épaules des individus.

Ou, autrement dit, il dégage l’État de sa responsabilité de s’occuper des citoyens. (Vous souvenez-vous du bon vieux temps quand Ottawa payait 50% des dépenses en soins de santé des provinces?)

La santé est maintenant un devoir moral

En fait, nous avons progressivement été «responsabilisés» au cours des dernières décennies à prendre soin de nous, avec de moins en moins de soutien de la part de nos gouvernements provincial et fédéral. La quête du «bien-être» est devenue une sorte d’impératif moral qui ne peut pas être séparé des objectifs politiques et économiques plus larges de l’État.

En tant que Canadiens, nous bénéficions des avantages d’un système public de soins de santé, mais pourtant cet impératif de responsabilité individuelle envers le reste de la société canadienne figure constamment dans ce qu’on pourrait appeler la rhétorique de la promotion de la santé et d’un mode de vie idéal.

Par exemple, une chronique de santé dans une revue féminine canadienne déclarait qu’il était possible de «rééduquer votre cerveau», soutenant qu’on pouvait corriger les mauvaises habitudes simplement en «changeant vos perspectives».

Si vous avez la mauvaise habitude de «souvent remettre l’exercice à plus tard», vous n’avez qu’à «choisir des influences en ligne plus positives». Si vous avez la mauvaise habitude de ne pas être capable de vous en tenir à des objectifs de saine alimentation, vous n’avez alors qu’à «prévoir ce que vous ressentez devant les aliments» avant de commercer à manger.

En exhortant ses lectrices à se faire autogestionnaires entrepreneuriales et à prendre la responsabilité de leur bien-être, la chronique de cette revue en rajoute avec la liste d’autres lacunes personnelles et leurs solutions miracles, qui se réduisent toutes aux bons et mauvais choix des lectrices et à leur capacité (lire : obligation) de mener leur vie de façon plus responsable au profit de tous.

La citoyenneté est un projet biologique

Et c’est ici qu’intervient l’idée de la «biocitoyenneté».

En s’engageant dans des pratiques d’autosoins — soit de faire les «bons» choix médicaux et de mode de vie — la citoyenneté moderne en Occident est devenue une sorte de projet biologique qui dépend de la façon dont les individus assument leur responsabilité envers le reste de la société en acceptant et remplissant leur devoir de prendre soin d’eux-mêmes.

Des bains relaxants aux smoothies au chou kale, les autosoins sont nettement «en vogue». On se retrouve de plus en plus, par contre, moralement et socialement obligé d’être proactif en fonction des risques à notre santé, que ce soit en mangeant bien, en faisant plus d’exercice, en cessant de fumer ou même en examinant notre potentiel de maladies génétiques.

Cette obligation morale s’est même transformée en une sorte de droit.

Dans mon livre sur l’histoire de la maladie de Tay-Sachs, je décris comment certains parents d’enfants nés avec cette maladie mortelle ont intenté des poursuites pour «négligence quant à la naissance» et quant à la «vie». Ils prétendent qu’on les a privés de leur droit d’être des biocitoyens responsables — en mettant fin aux grossesses — quand leurs médecins, conseillers en génétique et autres intervenants n’ont pas réussi à détecter la maladie de Tay-Sachs ou ne les ont pas informés correctement des résultats des tests quand ils ont eu lieu.

Bienvenue dans votre «non-liberté»

Le fait est que les biocitoyens responsables pratiquent les autosoins au profit de tous.

Les bons biocitoyens sont des citoyens en santé qui n’accaparent pas trop l’argent des soins de santé en raison de problèmes médicaux coûteux qu’ils auraient pu éviter s’ils avaient su mieux prendre soin d’eux-mêmes.

Et, comme je le découvre dans certaines explorations de recherche, ce message s’adresse à nous partout — dans nos milieux de travail sous la forme de programmes d’assistance aux employés, dans les services médicaux des campus sous la forme de «promotion du bien-être» et même dans les centres commerciaux sous la forme de «programmes de marche en centre commercial» conçus pour aider les gens à faire plus d’exercice.

Ce qui constitue un développement relativement récent depuis que Margaret Thatcher et Ronald Reagan étaient au pouvoir, le néolibéralisme tend vers une plus grande privatisation, financiarisation et diminution de la responsabilité de l’État pour le bien-être social. À cet égard, il y a eu une transformation des «patients» en «consommateurs» et un changement qui a fait passer les «droits sociaux pour les soins» au «devoir éthique» des individus d’être en santé.

Tout ceci démontre comment la liberté individuelle apparaît dans ce contexte comme une sorte de «non-liberté».

La non-liberté est la capacité, ou même le devoir, d’agir qui — étant donné ses connotations morales — n’est pas vraiment libre du tout.

Ne vous méprenez pas, je ne dis pas que nous ne devrions pas viser la qualité de vie et tenter d’être le plus possible en santé. Mais choisir le quinoa plutôt que les cannellonis est beaucoup plus qu’une question de préférence personnelle. Je crois qu’il est important de réfléchir sur nos choix d’autosoins dans leur contexte politique, économique et socioculturel.

Alors, allez-vous vous efforcer à devenir un meilleur biocitoyen en 2019? Ou pouvez-vous compter sur votre gouvernement pour en faire davantage comme il le faisait auparavant — et prendre soin de vous aussi?

La version originale de cet article, d’abord paru sur le site de La Conversation, a été publiée en anglais.

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