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DSM-5: un monde normalisé par la psychiatrie est-il à nos portes?

Le DSM, que certains nomment la « bible des psychiatres », n'est pas qu'un simple livre, c'est un ouvrage hautement reconnu dans le milieu psychiatrique, mais aussi chez l'ensemble des intervenants travaillant en santé mentale et qui a, d'une certaine manière, le pouvoir de définir la normalité et la pathologie. Au final, s'il ne constitue pas la catastrophe annoncée, le nouveau DSM poursuit dans la voie d'une pathologisation excessive des émotions et des comportements humains.
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Courtoisie

La 5e édition du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (Diagnostic and Mental Manual of Mental Disorders), communément appelé le DSM-5, vient de paraître. Longtemps repoussé et ayant fait couler beaucoup d'encre, c'est peu dire que le vénérable manuel de psychiatrie est attendu de pied ferme. S'il est d'usage que la sortie d'un nouveau DSM par l'Association américaine de psychiatrie (APA) provoque son lot de critiques et controverses, rarement a-t-on vu si grande mobilisation et assisté à autant de sorties retentissantes de la part de différents acteurs pour dénoncer les possibles changements proposés par le DSM-5. C'est que le nouveau DSM compte - de nouveau- élargir considérablement le spectre de la maladie mentale. Ce qui aura des répercussions importantes tant au niveau social, juridique, industriel que de santé publique.

Allen Frances, psychiatre et ancien responsable du DSM-IV, vient de sortir un livre pour dénoncer la « médicalisation de la vie ordinaire » qu'entraînera possiblement le DSM-5. Il est d'avis que l'ajout de nouveaux diagnostics et l'abaissement de certains seuils auront pour triste conséquence d'augmenter considérablement la proportion de gens susceptibles de recevoir des diagnostics psychiatriques. D'autres experts craignent quant à eux que certains individus ne soient inutilement stigmatisés et que de vaines prescriptions de médicaments aient lieu. Bref, rien qui vaille.

Alors, faut-il s'inquiéter à ce point de la sortie d'un « simple » livre ? Est-ce que les changements qu'envisage le comité de rédaction sont aussi pernicieux que certains le prétendent ?

Parmi les nouveautés du DSM-5, l'introduction d'une évaluation dimensionnelle, visant à déterminer la gravité des symptômes par le biais d'échelles de sévérité dans les critères diagnostic, retient particulièrement l'attention. En effet, l'approche dimensionnelle, supposément plus flexible en regard de la traditionnelle approche catégorielle, risque de bouleverser la pratique de nombre de psychologues et de psychiatres habitués à penser en termes de syndromes et non de traits isolés. Désormais, le clinicien « cotera » la présence et la sévérité des symptômes pour certains troubles. Bien que rendre compte d'un continuum d'intensité permet d'affiner la clinique psychiatrique, il advient que, comme l'écrit le médecin Bertrand Kiefer, « suivant où est placé le curseur sur le continuum, le marché de la maladie psychique pourrait considérable s'accroître...».

Dans un même ordre d'idée, l'abolition du système des axes devrait lui aussi passablement désorienter les cliniciens, habitués à penser en fonction de 5 axes (Les troubles majeurs cliniques en axe 1, Les troubles de la personnalité et le retard mental en axe 2, etc.). Mis en place en 1980 dans le DSM-III, le système multi-axe sera désormais réduit à un seul axe.

Concernant les ajouts ou modifications de diagnostics de nature inquiétante, relevons d'abord le trouble de dérégulation dit d'humeur explosive. Celui-ci s'appliquera aux 6 à 18 ans présentant une irritabilité persistante et des épisodes fréquents de manque de contrôle du comportement. Si l'APA soutient que ce nouveau diagnostic vise à réduire le surdiagnostic et le traitement du trouble bipolaire chez les enfants, il n'en demeure pas moins que, au final, de nombreux enfants porteront le stigma d'un diagnostic et seront la cible de traitement pharmacologique. C'est d'autant plus déplorable que plusieurs recherches ont indiqué les répercussions négatives rattachées à l'étiquette de la maladie mentale, particulièrement sur le plan identitaire. Sous un faux prétexte préventif, il apparaît donc qu'on poursuit l'application des critères pour adultes aux enfants.

Ensuite, le trouble dysphorique prémenstruel, version sévère des variations d'humeur liée aux règles, laisse quant à lui présager un début de pathologisation du syndrome prémenstruel. Mesdames, l'heure est grave! Un autre changement aberrant concerne le trouble de symptomatisation somatique. À l'avenir, il ne suffira que d'un seul symptôme à l'établissement de ce diagnostic, là où précédemment il en prenait huit. Le cas de l'hyperphagie boulimique laisse également songeur. Selon ce nouveau diagnostic, se goinfrer immodérément dans le frigo deux fois par semaine pendant trois mois est désormais considéré comme pathologique, rien de moins. De plus, soulevons que, de par la refonte des troubles du spectre autistique qui modifie entre autres l'appellation et la nature du syndrome d'Asperger, plusieurs personnes ne pourront peut-être pas obtenir les mêmes services adaptés auxquels ils avaient droit alors que le diagnostic d'Asperger était un trouble à part.

Par ailleurs, un changement particulièrement lourd de conséquences est l'abolition de « l'exclusion du deuil ». Une clause qui permettait aux personnes récemment endeuillées de ne pas être diagnostiquées du trouble dépressif majeur, à moins que les symptômes ne persistent au-delà de deux mois. En supprimant cette exclusion, on ouvre la voie à une médicalisation du deuil, un processus humain tout à fait normal... Nous en sommes maintenant à nier la souffrance, le sentiment de perte, la détresse, etc., bref un déni du mal-être et des difficultés qui ponctuent toute existence humaine.

Le billet se poursuit après la galerie

10 idées reçues sur les thérapies
Mythe: un thérapeute est comme un ami qu'on paye(01 of10)
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En fait: Il y a une énorme différence entre un thérapeute et votre meilleur(e) ami(e). On ne paye pas quelqu'un pour être gentil avec vous, on paye le thérapeute pour son temps et son expertise. Et la gentillesse est gratuite. D'ailleurs, les thérapeutes ne doivent pas voir leurs patients en-dehors du bureau. (credit:Shutterstock)
Mythe: faire une thérapie veut dire que vous êtes «dingue»(02 of10)
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En fait: La plupart des gens sont élevés dans l'esprit qu'il faut être indépendant et régler ses problèmes tout seul, et que chercher de l'aide est un signe de faiblesse. Les médias n'aident pas en ce sens, en offrant une image fausse des gens qui consultent. La vérité est que nous souffrons tous, et que ceux qui vont voir un thérapeute sont, pour la plupart, des gens ordinaires qui cherchent à se connaître. (credit:Shutterstock)
Mythe: une thérapie est sans fin(03 of10)
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En fait: Selon le thérapeute que vous consultez, la thérapie peut durer plus ou moins longtemps. Mais elle a bel et bien une fin! Les thérapeutes doivent créer une cible et un plan pour leur traitement. Une thérapie, en moyenne, dure trois ou quatre mois. (credit:Shutterstock)
Mythe: une thérapie coûte une fortune(04 of10)
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En fait: Oui, cela peut coûter cher. Mais vous pouvez aussi trouver de l'aide financière auprès de vos assurances. Aussi, prenez-le d'une autre manière: quel est le coût de ne pas faire une thérapie? Votre bien-être familial? Votre performance professionnelle? Cela vaut peut-être le coup, justement. (credit:Shutterstock)
Mythe: les thérapeutes vous blâment et vous font culpabiliser(05 of10)
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En fait: Non, les thérapeutes ne sont pas comme Dr. Phil. En thérapie, il s'agit de compassion et de laisser le patient exprimer ses troubles émotionnels sans jamais le juger. (credit:Shuttertstock)
Mythe: les médicaments sont aussi efficaces qu'une thérapie(06 of10)
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En fait: Les problèmes psychologiques ne sont pas causés par un déséquilibre biochimique. L'expérience de perdre un emploi ou un membre cher, de divorcer, etc. est source d'un énorme stress émotionnel. Les médicaments sont seulement une béquille temporaire pour se sentir mieux. (credit:ShutterStock)
Mythe: une thérapie est passive(07 of10)
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En fait: Contrairement à ce qui se passe au cinéma, le thérapeute ne fait pas qu'écouter en hochant de la tête. Il écoute, certes, mais aide surtout le patient à démêler ses pensées.
Mythe: une thérapie est pleine de pensées positives(08 of10)
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En fait: C'est parfois le cas... Mais le thérapeute ne va pas, soudainement, vous rendre heureux! On ne peut pas «attraper» le bonheur juste avec des pensées positives. Pour être heureux, il vous faut affronter les parties de vous qui ne le sont pas. En travaillant face-à face et non en groupe, les thérapeutes peuvent aider à repasser à travers les événements douloureux et les troubles d'une personne... et lui donner espoir d'un future plus paisible. (credit:Shutterstock)
Mythe: on ne peut pas changer le passé(09 of10)
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En fait: La thérapie vous aide à repasser à travers les éléments pénibles du passé et à résoudre les sentiments douloureux qui en résultent. (credit:Shutterstock)
Mythe: une thérapie rend les problèmes encore plus douloureux(10 of10)
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En fait: Retourner dans le passé peut être douloureux, et se rappeler de mauvais souvenirs n'est jamais agréable. Mais n'ayez pas peur, car les bons thérapeutes guident leurs patients de manière à ce qu'ils puissent gérer leurs sentiments sans se laisser dépasser par eux. (credit:Shutterstock)

Du côté positif, s'il en est, l'idée d'ajouter les diagnostics de psychose atténuée, de risque de psychose, de même que le trouble mixte anxiété-dépression, a été abandonnée. Les diagnostics d'hypersexualité, de dépendance à la sexualité et d'addiction à internet ont également été rejetés. Ainsi, sous le poids de la critique, l'APA a semble-t-il plié. Il faut dire que certains de ces diagnostics, « pré-seuils » ou « pré-morbide », auraient pu ajouter des millions de malades, alors que d'autres diagnostics semblaient souffrir d'un biais culturel, moral ou encore idéologique qui s'enracinait dans « l'air du temps ». Autre heureuse nouvelle, la réforme des diagnostics de trouble de personnalité, fortement décriée, n'aura finalement pas lieu.

Au final, s'il ne constitue pas la catastrophe annoncée, le nouveau DSM poursuit dans la voie d'une pathologisation excessive des émotions et des comportements humains, faisant au passage peu de cas des facteurs sociaux et des « maux de la société » .

Le DSM, que certains nomment la « bible des psychiatres », n'est pas qu'un simple livre, c'est un ouvrage hautement reconnu dans le milieu psychiatrique, mais aussi chez l'ensemble des intervenants travaillant en santé mentale et qui a, d'une certaine manière, le pouvoir de définir la normalité et la pathologie. Rien de banal donc. Le DSM est le livre sur lequel s'appuie une majorité d'expertises psychiatriques et celui-ci joue un rôle crucial à divers niveaux : qu'il s'agisse de prescrire un médicament et son remboursement, de déterminer la capacité d'un employé à retourner au travail, orienter la scolarité d'un élève, excuser un crime par la folie... S'il existe d'autres livres de classification des troubles mentaux telle la Classification internationale des maladies (CIM), aucun ne peut prétendre à la nature hégémonique - et à l'impérialisme américain - du DSM. Plus que tout, c'est la portée idéologique du DSM qui déconcerte. A cet égard, Helena Hanson, chercheur en sciences sociales de l'Université de New York, a démontré que les enfants sont à 3 à 4 fois plus enclin d'être diagnostiqué d'un trouble du déficit de l'attention avec ou sans hyperactivité si le médecin est américain et utilise le DSM-IV en comparaison avec un médecin européen utilisant la CIM-10.

Par ailleurs, il est difficile en parlant du DSM de passer sous silence les liens de plus en plus évidents entre les milieux psychiatrique et pharmaceutique. Une étude publiée dans la revue Public Library of Science révèle que 69% des 141 experts qui travaillent à la révision du manuel entretiennent des liens financiers avec l'industrie pharmaceutique. De plus, une enquête du Comité des finances du Sénat américain rapporte que 56% des revenus de l'APA proviennent des fabricants de médicaments. Naturellement, dans une perspective mercantile, ces firmes ont tout à gagner dans l'universalisation et l'amplification des dérives du psychisme humain.

À cet égard, certains auteurs évoquent même l'idée d'un « complexe médico-industriel » qui, englobant les phénomènes de psychiatrisation, médicalisation, médicamentation et ayant une emprise politique et économique telle, contribuerait à modifier la façon dont on conçoit la maladie et s'évertuait surtout à transformer la santé des biens-portans en un marché à la médicamentation à tout vent. De par l'établissement d'une norme de comportements dans tous les aspects de l'existence, on en viendrait à traiter les personnes en responsables de leurs « déficiences » ou « difficultés » plutôt que de leur permettre d'acquérir un pouvoir sur leur existence sociale.

Si le doute quant à l'impartialité et la transparence plane sur l'entreprise du DSM, l'idée d'une industrie pharmaceutique qui manipulerait à sa guise le travail des experts du DSM reste encore à démontrer. Si les psychiatres de l'APA ont une propension à introduire de nouveaux diagnostics, cela prend davantage racine, comme l'écrit Allen Frances, dans « un authentique désir d'éviter de perdre des patients qui pourrait bénéficier d'une prise en charge ».

Ainsi, il ne s'agit pas ici de s'inscrire dans le courant antipsychiatrique, mais bien de partager des inquiétudes face à la nouvelle mouture du DSM. Certes, ce dernier reste un outil pertinent. Il aide le clinicien à l'établissement du diagnostic, favorisant ainsi l'organisation et la planification d'un traitement. Il permet aussi la comparabilité des résultats et l'intercompréhension des chercheurs et cliniciens. Mais à trop vouloir ne pas laisser de malades de côté, on accroît immodérément la sensibilité diagnostic, et dans la foulée il y a surdiagnostic et surtraitement, de même qu'une profonde mise en doute de la santé mentale de l'individu et de sa « normalité » au sein de la société.

Ce qui serait déplorable, comme le soutient Bertrand Kiefer « ce serait un monde normalisé par la psychiatrie, où la moindre impulsion créatrice, la plus petite transgression, le début même de l'originalité, l'acte ou le comportement humain un tant soit peu impertinent, se trouverait catalogué comme anormal, nuisible, et à la fin dangereux ». Un monde non loin du « meilleur des mondes » d'Aldous Huxley où, pour le bien de l'État, tous consomment du « soma » assurant bonheur, conformité et cohésion sociale. Le diagnostic comme nouvelle identité et le médicament comme opium du peuple, est-cela qui nous attend ?

Ainsi, la cinquième version du célèbre manuel constitue un événement scientifique d'ampleur méritant que l'on s'y attarde puisqu'il pourrait durablement changer les mœurs occidentales dans les décennies à venir.

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