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L'eau, droit ou besoin? Retour sur un débat

Le débat sur l'eau provoque des réactions passionnées tant du côté des partisans d'un droit à l'eau que du côté de ceux qui la perçoivent comme un bien.
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Ce billet du blogue Un seul monde, une initiative de l'AQOCI et du CIRDIS, a été écrit par Moussa Diop, chercheur postdoctoral au CIRDIS et membre partenaire au Réseau de recherche en santé des populations du Québec (RRSPQ). L'article qu'il publie ci-dessous porte sur le débat entourant le statut de l'eau dans le cadre de l'accès à la ressource, considérée alternativement comme un besoin et comme un droit.

Entre 1995 et 2005, les besoins dans le domaine de l'eau ont explosé. La population mondiale est passée de 2 à 6 milliards d'individus, et d'après les projections démographiques, elle passera à 9 milliards en 2050 (Taithe, 2006: 45). Déjà, en 2003, 20% de la population mondiale ne disposait d'aucun accès à l'eau potable et il était prévu que dans les prochains vingt ans, si aucune action d'envergure n'était mise en place, près de 3 milliards de personnes seraient victimes de la pénurie d'eau (Diop et Rekacewicz, 2003).

Sur le plan international, les Institutions internationales, les pouvoirs publics, les sociétés civiles se relayent dans les prises de position autour d'une question centrale : comment faire pour éviter cette crise mondiale de l'eau? Apparaît le thème du développement durable appliqué au domaine de l'eau, pour dire qu'elle est à la fois un bien social, un bien économique et un bien environnemental. Mais c'est dans la définition de ces « biens » se cristallisent les différentes positions sur le statut de l'eau: droit ou besoin? Au sujet de la distinction de l'eau comme besoin ou droit, il faut avoir à l'esprit qu'on peut satisfaire un besoin humain de différentes manières, surtout si on a de l'argent, mais personne ne peut vendre un droit humain (Barlow et Clarke, 2002: 13).

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« L'eau, si on sait l'entendre, si on en apprend la langue, ouvrira toute la connaissance des êtres et des choses. » (Yves Thériault, Le ru d'Ikoué) © Moussa Diop

Deux approches se dégagent pour répondre à la question soulevée : l'école des droits de propriété et l'école des biens publics mondiaux (BPM).

L'école des droits de propriété

1. L'eau est un bien économique

Selon les tenants de ce paradigme comme les multinationales de l'eau, les institutions financières internationales (FMI, GBM, OMC) et le Conseil mondial de l'eau, pour une gestion durable de la ressource, l'eau doit être perçue comme un bien économique, soumise aux forces de l'offre et de la demande, sur un marché mondial où la distribution est déterminée en fonction des ressources financières des usagers. Cela permettra, selon eux, d'articuler une demande d'eau, en constante progression, à une offre d'eau fixe afin de préserver la ressource en évitant les gaspillages. La logique qui sous-tend ce paradigme est celle de l'efficacité du marché. Depuis quelques années, au Québec, l'idée de privatiser les services de distribution d'eau potable au Québec a fait surface dans l'actualité (Mélançon, 2005: 1).

2. L'eau, un droit fondamentalement humain

Pour des besoins d'équité et de justice sociale et en tenant compte de son caractère vital, les partisans d'un droit fondamental à l'eau, notamment Ricardo Petrella (FSM), Vandana Shiva et certains mouvements de la société civile, pensent que privatiser son accès instaurerait une exclusion de fait. Pour eux, le fait d'accepter que tout ce qui doit être fait dans le domaine de l'eau ne puisse émaner que du financement privé relève d'une abdication du politique et du citoyen, puisque celui-ci paiera en fonction de ce qu'il consommera. Pour éviter cette appropriation privative, ils prônent le droit inaliénable de l'accès à l'eau pour tous et considèrent la ressource comme patrimoine mondial de l'humanité.

3. La tragédie des communaux

Ce troisième paradigme part des travaux de Garett Hardin, qui pense que dans un système de bien commun, assimilé à un bien libre, il y a risque de tragédie conduisant à une surexploitation, d'où la nécessité de mettre en place des « property rights ». Pour éviter cette tragédie, il propose soit une gestion privée, soit une gestion publique. Cependant, les travaux d'Elinor Ostrom sur l'efficacité de la gestion des biens communs par les individus hors des cadres traditionnels de la science économique (État fort ou privatisation) montre que le transfert de la gestion, voire de la propriété des ressources renouvelables aux communautés locales, animées par une logique de solidarité et de coopération incrémentale, peut représenter une saine stratégie de gestion.

L'école des Biens publics mondiaux (BPM)

Face à cette école des droits de propriété, nous avons l'école des biens publics mondiaux qui tente de concilier les visions de l'eau comme un bien économique et un droit humain à travers le concept de bien public mondial. Pour celle-ci, la relative raréfaction de la ressource susciterait des tentatives d'appropriation privée. Pour éviter ce processus, il conviendrait d'en faire un « bien public mondial » afin d'en garantir l'accès à l'humanité entière. Par contre, comme le poids du financement des infrastructures est important, il ne peut reposer sur un seul opérateur économique, mais doit s'appuyer sur l'ensemble de la communauté qui bénéficie de ces biens. D'où l'idée d'insister sur un nécessaire partenariat entre les différentes catégories d'acteurs impliqués dans sa gestion: soit État/privés/ONG, ou État/privés/usagers pour le financement des infrastructures liées à l'eau.

Le débat sur l'eau provoque des réactions passionnées tant du côté des partisans d'un droit à l'eau que du côté de ceux qui la perçoivent comme un bien. De telles attitudes traduisent des inquiétudes nourries quant à sa disponibilité, sa pérennité pour les uns; de l'exclusion progressive et inévitable d'une partie des populations les plus démunies de l'accès à cette ressource vitale, pour les autres. Ces différentes attitudes reposent, pour la plupart, sur des acquis culturels et sont présentes dans l'imaginaire collectif. Mais des exemples récents de conflits, de guerres ou encore d'émeutes de l'eau montrent que limiter sa gestion à un problème de technicité ou d'arbitrage entre conflits d'intérêts, ne permet pas de comprendre la violence de certaines tensions ou l'évolution des besoins en eau.

Au Nord comme au Sud, le défi majeur des prochaines années, en matière d'eau, sera d'assurer la rentabilité de sa gestion, tout en garantissant aux plus démunis le droit d'accéder à cette ressource vitale.

N'hésitez pas à contacter Ève Claudel Valade, coordonnatrice du blogue Un seul monde, pour en savoir davantage sur le blogue ou connaître le processus de soumission d'articles. Les articles publiés ne reflètent pas nécessairement les points de vue de l'AQOCI, du CIRDIS ainsi que de leurs membres et partenaires respectifs.

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