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Sarajevo commémore loin de l'Europe le début de la Première Guerre mondiale

Sarajevo commémore loin de l'Europe le début de la Première Guerre mondiale
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Sarajevo commémore samedi sans les dirigeants européens l'attentat qui a fait basculer l'Europe il y a cent ans dans la Première Guerre mondiale, et dont le souvenir divise encore les Balkans un siècle plus tard.

Loins eux-mêmes de partager une mémoire commune de ce conflit sans précédent qui a saigné à blanc le vieux continent, les chefs d'Etat et de gouvernement de l'Union européenne ont choisi de marquer cet anniversaire ailleurs, avec deux jours d'avance sur le calendrier, lors d'une cérémonie jeudi dans la ville martyre d'Ypres, dans le nord-ouest de la Belgique, en marge d'un Conseil de l'UE à Bruxelles.

Selon l'historien et diplomate serbe bosnien Slobodan Soja, un sommet européen avait été un temps envisagé à Sarajevo à l'occasion du centenaire, mais l'idée a été abandonnée à cause notamment des querelles intercommunautaires que cet anniversaire a ravivées en Bosnie.

"Il aurait été impossible de mettre tout le monde (Serbes, Musulmans, Croates: NDLR) ensemble le 28 juin à Sarajevo", ce qui a "rendu ce sommet impossible" a expliqué M. Soja à l'AFP.

C'est pourtant dans la capitale bosnienne que le destin de l'Europe, au faîte de sa puissance, a basculé le 28 juin 1914, avec les deux coups de feu mortels tirés par le jeune nationaliste serbe bosniaque Gavrilo Princip contre l'archiduc héritier d'Autriche François Ferdinand et son épouse Sophie.

Cinq semaines plus tard, entrainées par leurs rivalités, leurs peurs, leurs alliances et l'aveuglement de leurs dirigeants, les grandes puissances européennes étaient en guerre.

Ce conflit durera plus de quatre ans, s'étendra à toutes les régions du monde et laissera l'Europe exsangue: 10 millions de morts et 20 millions de blessés parmi les combattants, et des millions de civils tués par les combats, la famine, la maladie ou les troubles sanglants qui, de la Pologne à la Turquie en passant par la Russie ou la Hongrie, continueront à secouer le continent jusqu'en 1923.

Mal soldée, cette "catastrophe originelle", ainsi que les Allemands la qualifient, entraînera vingt ans plus tard la Seconde Guerre mondiale, consacrant l'effacement d'une Europe pour la deuxième fois ruinée au profit d'une nouvelle superpuissance planétaire, les Etats-Unis.

A Sarajevo, le centenaire du 28 juin 1914 sera modestement marqué samedi par un concert de la Philharmonie de Vienne --alors capitale de l'empire austro-hongrois que Gavrilo Princip avait frappé en assassinant son héritier. Ce sera le point d'orgue d'une série de manifestations culturelles et sportives hétéroclites largement financées par l'Union européenne, à laquelle n'appartient pas la Bosnie.

Le message politique a été lui délivré très loin de la Bosnie et de ses tensions, à Ypres où les dirigeants européens ont réaffirmé leur engagement à tout faire pour maintenir en l'Europe en paix, en évitant les "spirales et surenchères" à l'origine de la Première Guerre mondiale.

Car un siècle après, le geste et la personnalité de Gavrilo Princip divisent encore les Balkans, mal remises des conflits sanglants qui ont suivi l'éclatement de la Yougoslavie dans les années 90.

Sarajevo, aujourd'hui majoritairement musulmane, a effacé ces dernières années toute trace du jeune activiste serbe, dont le souvenir est associé aux forces serbes ayant assiégé la capitale bosnienne pendant la guerre intercommunautaire qui a fait près de 100.000 morts entre 1992 et 1995.

"Au sein de l'armée (serbe de Bosnie) qui bombardait Sarajevo on vouait un culte à Gavrilo Princip", rappelle l'historien bosnien musulman Husnija Kamberovic.

Coté serbe, le jeune étudiant exalté, mort en prison en 1918, est depuis toujours célébré comme un héros de la lutte d'indépendance des Slaves du sud contre l'empire austro-hongrois qui avait annexé la Bosnie en 1908.

Du coup, les Serbes de Bosnie et de Serbie ont refusé de s'associer aux cérémonies officielles de Sarajevo, dénonçant une approche "révisionniste" de l'histoire qui qualifie Princip de "terroriste" et fait, selon eux, porter indûment sur les Serbes la responsabilité de la guerre.

Et ils ont organisé leurs propres cérémonies du centenaire, parrainées par le président de l'entité serbe Milorad Dodik et le cinéaste serbe Emir Kusturica.

La population de Sarajevo semble quant à elle plutôt indifférente à ce centenaire, et résignée à demeurer, à cette occasion encore, à l'écart de l'Europe.

"Sarajevo est oubliée par l'Europe. Les cérémonies du centenaire ne m'intéressent pas vraiment, mais si c'est une occasion de parler de nous dans le monde, ne serait-ce qu'un jour, c'est peut-être utile", estime Zana Buric, une entrepreneuse de 38 ans.

"On entend souvent ces derniers jours que Sarajevo est +le coeur de l'Europe+. J'en ai assez de ces phrases. C'est cynique. Si nous sommes vraiment au coeur de l'Europe, pourquoi cette Europe ne veut-elle pas de nous?", s'énerve Alma Softic, étudiante en mathématique.

"Les commémorations liées à la guerre, mais la nôtre, celle des années 1990, on en a ici quasiment tous les jours. Un jour ce sont les Musulmans, le lendemain les Serbes, puis les Croates, et ainsi de suite. Et ça ne fait qu'augmenter les divisions" entre les trois communautés, relève de son côté Jasmin Bukaric, un informaticien de 34 ans.

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