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«Amanita Virosa» d'Alexandre Soublière: Payer pour filmer les gens à leur insu (ENTREVUE)

«Amanita Virosa» d'Alexandre Soublière: Payer pour filmer les gens à leur insu (ENTREVUE)
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Mathieu Fortin

Ils sont riches, puissants et prêts à débourser des fortunes pour que l’organisation Hyaena filme à leur insu des vedettes, une flamme inaccessible ou d’anciennes amours, dans les positions les plus intimes: copulation, masturbation, dans un bain, à la toilette… En imaginant le futur de la jungle technologique, Alexandre Soublière revient en force, trois ans après avoir ébranlé le monde littéraire avec Charlotte, before Christ.

Alors qu’il travaillait sur son premier roman, en imaginant cacher des caméras pour être témoin de l’action dans la chambre à coucher de ses personnages, l’écrivain a trouvé la prémisse de sa deuxième histoire. Une œuvre qui fait passer les craintes associées à Facebook, Instagram et Snapchat pour une série de peurs puériles, tant l’entreprise intrusive arrive à tout révéler de ses victimes impuissantes.

À l’image des hyènes, voraces et opportunistes, Hyaena offre aux happy few la possibilité de tout voir. « Mon éditeur dit que c’est un peu un roman d’anticipation, explique Soublière en entrevue. Ce que je décris est un petit pas plus loin d’où on est rendu actuellement, peut-être même que ça existe déjà et que je ne le sais pas. C’est le prolongement du voyeurisme des réseaux sociaux. »

Évoquant le vol de photos des célébrités dénudées dans le nuage de leur ordinateur et la fuite de données du site Ashley Madison, servant d’intermédiaire aux infidèles, l’auteur voit un avant-goût de ce que son roman illustre et se questionne sur la compréhension collective des nouvelles technologies.

« Beaucoup de gens rient de ce qui arrive aux utilisateurs d’Ashley Madison, mais comme Patrick Lagacé l’écrivait dans une chronique récemment, la situation ne fait que démontrer que ça pourrait nous arriver à tous. Nous sommes à une époque où l’on ne comprend pas bien ce qui se passe avec la techno. »

Fasciné par les pirates du web, Alexandre Soublière se questionne sur l’équilibre à maintenir entre la sécurité et la vie privée. « Je n’ai pas de réponse à mes questions. C’est difficile de connaître l’incidence psychologique et sociologique des nouvelles technologies, puisqu’on a le nez dedans. Mais j’ai l’impression qu’on vit l’une des grandes révolutions de l’humanité, un peu comme celle des transports à l’époque. »

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La tête et la brute

Au cœur de son récit, les lecteurs font connaissance avec les maîtres d’Hyaena: Samuel, un policier pour le moins brutal, et Winchester, un geek en peine d’amour. Après avoir établi leur réputation grâce au réseau de contacts d’un riche homme d’affaires, ils recevront le mandat de filmer la compagne d’Elijah, le meilleur ami dudit fortuné, et essaieront de réaliser un contrat donné par Elijah, qui rêve d’accéder à l’intimité de la Juliette de Roméo.

L’histoire évolue au rythme des actions et des réflexions de Winchester, un jeune homme en quête de sens. « On comprend qu’avant Hyaena, il travaillait pour une armée secrète gouvernementale dans laquelle il avait tout investi et qu’il avait misé ses espoirs amoureux dans sa “relation” avec Cecili. Quand tout cela est fini, il se sent vide. Hyaena devient comme sa nouvelle religion, avec les commandements qui viennent avec. Il n’est pas intéressé par l’argent. Il pense se moquer des riches et gâcher leur vie… alors qu’il leur offre une branche de plus à leur pouvoir. »

L’anarchie des inconscients

Tiraillé par son envie de faire le bien et son attrait pour la destruction, le pseudo-anarchiste déborde de contradictions. « Il déclare être bien dans le chaos, alors qu’il préfère rester chez lui, où tout est sécuritaire. C’est un sentiment que j’observe dans mon entourage et chez moi. Je crois parfois que j’aurais préféré vivre à une époque où on était obligé de faire la guerre pour défendre de grands idéaux, mais je ne veux pas vraiment aller à la guerre… C’est comme si ça devenait plus facile de sentir que tu as réellement vécu quand tu as participé à quelque chose de grand comme ça. Ça rejoint la quête de sens de Win. »

Une quête qui l’a d’abord mené à se joindre à Samuel, un être visiblement mauvais. « Win ne se considère pas comme un guerrier, mais il aime ce côté de Sam, qui ne réfléchit pas trop et qui fonce. Même s’il sait que Sam n’est pas bon pour lui. Ça ressemble à une admiration amoureuse, avec les jeux de pouvoir malsains. Au début, Win accepte certaines petites affaires que fait Sam, puis ça s’amplifie... »

À mesure que les événements défilent, Winchester sera pris au piège, en raison de son admiration – le mot est faible – pour Elsa, une chanteuse au magnétisme puissant, qu’il filme à son insu. « Elsa ressemble à la chanteuse canadienne Grims. À ses débuts il y a quelques années, j’étais impressionné par elle. Je ne comprenais pas qui elle était. Je me suis mis à la suivre sur les réseaux sociaux: elle écrivait beaucoup sur Tumblr, comme Elsa. Je sentais quasiment une proximité avec elle, comme si on pouvait être amis, alors qu’elle était si loin… », explique l’auteur récemment déménagé à Vancouver, lieu de naissance de la chanteuse qu’il admirait.

Tout sauf un « Charlotte II »

L’univers d’Amanita Virosa est pourtant dénué de références musicales véritables, à l’opposé de Charlotte before Christ, que bien des médias avaient identifié comme le porte-étendard de la jeunesse québécoise. « Je ne voulais pas être le gars qui écrit le même livre, même si les thèmes des deux romans sont semblables : la quête de sens et l’amour qui vient répondre à cette quête. Au lieu de faire du grattage de nombril du Mile-End et d’Hochelaga, que j’avais fait dans Charlotte, je voulais créer quelque chose qui pouvait se lire partout dans le monde, sans mentionner de ville, de rues, de groupes de musique, et sans utiliser de sacres québécois, pour rejoindre le plus de personnes possible. »

Des ambitions de grandeur qui s’expriment à travers une écriture beaucoup plus maîtrisée, selon le principal intéressé. « J’avais déjà un style punché, mais les chansons que j’ai écrites avec Dumas et mon travail de concepteur-rédacteur dans une agence de publicité au cours des dernières années m’ont obligé à être plus concis. Je réalise aussi que l’écriture du deuxième m’a pris moins de temps et que mes premiers jets étaient moins pires. Je n’avais plus peur de manquer d’idées. En publicité, tu dois tordre la création, même si tu n’as plus d’idées. Quand j’écrivais mon roman, je pouvais changer d’idées 15 fois, sans avoir peur de jeter. »

Le roman Amanita Virosa est présentement en librairies.

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