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François Létourneau, «le gars des Invincibles»

Près de 15 ans après la diffusion de la série culte, l’auteur et comédien se fait encore demander s’il songe à écrire une suite… Pas avant 20 ans, répond-il!
Jocelyn Michel

On l’a vu dans Québec-Montréal, Paul à Québec, Les Rescapés et Trop, notamment. Mais c’est son rôle de Pierre-Antoine dans Les Invincibles qui restera probablement le plus marquant – avec celui de Denis, dans Série noire. François Létourneau a d’ailleurs rapidement compris que c’est en écrivant ses propres rôles qu’il ferait sa marque. Alors que Les Invincibles s’apprête à souligner son 15e anniversaire, le comédien et scénariste revient sur le succès de la série devenue culte, et nous parle de son nouveau projet, C’est comme ça que je t’aime.

Lorsqu’on lui souligne que la série culte mettant en vedette quatre adulescents qui se décident à domper leur blonde fêtera cette année ses 15 printemps, l’auteur et comédien hausse les sourcils en souriant, devant son café et son croissant.

«Je ne savais même pas! Ça passe vite, la vie...»

Même s’il affirme d’emblée ne pas être nostalgique, François Létourneau se remémore des bons souvenirs, en reculant 15 ans plus tôt.

«Ç‘a été une aventure artistiquement très remplie, mais aussi remplie de rencontres. Je me suis fait beaucoup d’amis, dans les comédiens, mais aussi dans l’équipe technique, des gens avec qui je travaille encore maintenant, ou que je côtoie dans ma vie. Ç’a créé un lien très fort.»

Il se souvient que ni lui, ni son complice Jean-François Rivard, avec qui il avait co-écrit la série, et qui réalisait Les Invincibles, n’avaient beaucoup d’expérience en télé, à l’époque.

«Oui, c’était nouveau, mais en même temps, j’avais fait suffisamment de choses avant (surtout du théâtre) pour avoir un peu de confiance. Et c’était la même chose aussi pour Jean-François, qui avait fait des courts métrages... On avait notre petite confiance, notre petite arrogance, en pensant qu’on allait révolutionner un peu la télé; on était un peu baveux!» se rappelle-t-il en riant.

«C’est tout à l’honneur des gens qui étaient à Radio-Canada à l’époque de nous avoir fait confiance», reconnaît-il.

Cette décision a certainement été «payante» pour le diffuseur public, puisque la série mettant en scène Carlos (Pierre-François Legendre), Steve (Patrice Robitaille), P-A (François Létourneau) et Rémi (Rémi-Pierre Paquin) est devenue carrément culte, surtout lors de la troisième et dernière saison. Il faut dire que le fait que les acteurs principaux soient des amis dans la vraie vie aidait à faire preuve d’une réelle complicité à l’écran.

«Je pense que ç‘a beaucoup contribué au succès de la série, parce qu’on y croyait, et sur le plateau, c’était très... disons qu’on n’avait pas besoin de se parler des scènes!»

«Des gars ordinaires»

François Létourneau se rappelle que lors de leur «discours de vente» pour convaincre Radio-Canada de diffuser leur série, Jean-François Rivard et lui ont avancé qu’ils ne se reconnaissaient pas dans la télé québécoise, à l’époque, et qu’ils avaient envie de montrer des personnages de «gars ordinaires», comme le «sympathique» (lire «pathétique) P-A, qui habitait encore chez son père (Germain Houde).

«On voulait aussi montrer la banlieue pas belle, et les appartements, comme les apparts qu’on avait, pas chics... Et aussi, dans la facture, de tourner ça un peu documentaire, caméra à l’épaule... Maintenant, il y en a beaucoup, mais à l’époque, il n’y en avait pas tant que ça, des shows tournés de cette façon-là.»

«C’était grisant»

Le succès des Invincibles a évidemment un peu changé sa vie, lui permettant ensuite de réaliser d’autres projets.

«C’est sûr que ça donne une certaine notoriété... C’était grisant quand même, le succès que la série a eu, c’est le fun de sentir qu’on rentre vraiment chez les gens», raconte-t-il, le sourire un peu nostalgique – malgré tout.

«On n’aurait pas pu faire Série noire sans le succès des Invincibles, ajoute-t-il. Après les Invincibles, Radio-Canada nous a vraiment donné la possibilité d’arriver avec quelque chose de peut-être plus audacieux...»

D’ailleurs, le diffuseur public désirait que le duo d’auteurs ponde une quatrième saison, ce qu’ils ont gentiment refusé, puisqu’ils étaient satisfaits de leur fin – on se rappelle de la finale assez dramatique et de ce qui arrive à Lyne-la-pas-fine (Catherine Trudeau).

«Ça ne nous tentait pas d’étirer la sauce, précise François Létourneau. Et je trouve que ç’a été un bon choix, parce que pour une série, finir au bon moment, alors que les gens en veulent encore... c’est ce qui crée le bon souvenir dans la tête des gens. C’est un vieux principe de show business

L’auteur est catégorique, même si on lui demande encore souvent s’il a envie d’écrire un film ou une suite aux aventures de nos quatre anti-héros préférés. À moins que…

«La seule possibilité d’un retour – j’ai toujours fait cette blague-là –, c’est de faire une suite quand on aura 65 ans. Tsé... Les Invincibles à la retraite!» lance-t-il en riant.

François Létourneau et Vincent-Guillaume Otis dans «Série noire».
Bertrand Calmeau
François Létourneau et Vincent-Guillaume Otis dans «Série noire».

L’auteur préfère se concentrer sur de nouveaux projets plutôt que de se laisser aller à la nostalgie. C’est pour cette raison qu’il a rapidement plongé dans l’écriture de Série noire, après la fin des Invincibles – toujours avec son complice Jean-François Rivard. Cette autre série devenue culte racontait l’histoire de deux scénaristes en manque d’inspiration, Denis (François Létourneau) et Patrick (Vincent-Guillaume Otis), qui se tournaient vers le crime organisé pour donner un nouveau souffle à leur série judiciaire (délicieusement pathétique).

Voilà une autre série qui déconstruisait un peu les codes de la télé québécoise, et qui a connu un vif succès.

«J’ai vraiment senti une popularité chez les jeunes, et ça me flatte beaucoup. Des fois, quand je vais dans des endroits où il y a beaucoup de jeunes de 18-20 ans, ils me disent à quel point il n’ont pas beaucoup écouté de télé québécoise, mais Série noire, ils l’ont écoutée.»

Et ces mêmes jeunes ont parfois déniché des DVD des Invincibles par la suite – oui, ça existe encore, et étonnamment, c’est à peu près le seul support sur lequel on peut encore apprécier les mésaventures de nos quatre adulescents, puisque la série coûterait tellement cher en droits musicaux qu’elle n’est disponible sur aucune plateforme de streaming.

Encore récemment, lors de son passage à Radio-Canada pour le tournage d’une émission spéciale sur la ville de Québec des Enfants de la télé, en passant devant la file d’attente du public, François Létourneau a entendu: «heille, c’est le gars des Invincibles

«C’est encore par ça que je suis le plus reconnu», observe-t-il.

Cela dit, l’acteur précise qu’il n’a jamais recherché la célébrité à tout prix. Il explique avoir déjà vécu d’aussi beaux moments sur une petite scène de théâtre, devant 60 personnes, que dans ses succès à la télé.

Faire ses classes de scénariste avec Seinfeld

François Létourneau ne se destinait pas vers une carrière d’acteur. Natif de Sainte-Foy, il a étudié en sciences politiques à l’Université Laval, à Québec. Très studieux, il voulait devenir journaliste.

Quand il prenait des pauses d’études, il écoutait des épisodes de Seinfeld qu’il avait préalablement enregistrés, dans le sous-sol, chez son père.

«J’en ai tellement écoutés, j’ai tellement aimé ça, se remémore-t-il. Il y a quelque chose dans la façon de raconter des histoires, de structurer... Chaque épisode était comme une petite pièce de théâtre. On dirait que c’est là que j’ai appris mon métier de scénariste. Ç’a été une grosse influence.»

Le jeune François faisait du théâtre amateur, au cégep et à l’université. Et un de ses bons amis, un certain Patrice Robitaille (qu’il avait rencontré au Cégep de Ste-Foy) a été accepté au Conservatoire d’art dramatique et de musique de Montréal; il l’a donc convaincu de préparer ses auditions.

«Et j’ai été pris. Je suis allé au Conservatoire en me disant: ″Si je vois que je n’aime pas ça, je pourrai arrêter après six mois″ – parce que je devais faire une maîtrise en philosophie politique, j’avais une bourse, tout... Mais finalement, j’ai trop aimé ça, le Conservatoire, et je suis resté.»

Jouer ses propres textes

C’est au Conservatoire que François a découvert sa passion pour l’écriture, en écrivant des monologues de théâtre qu’il présentait ensuite aux «soirées de la poésie», sorte de cabaret organisé par les étudiants du Conservatoire.

«J’interprétais moi-même mes monologues, et chaque fois, ça marchait vraiment bien. J’avais toujours un bon feedback. Et je sentais, comme acteur, qu’il y avait quelque chose qui se passait, quand je jouais ce que j’écrivais. J’ai eu l’intuition: je pense que c’est ce qui va me distinguer dans ce métier.»

François Létourneau et Fanny Mallette dans la pièce «Cheech», jouée à La Licorne.
Courtoisie/La Manufacture
François Létourneau et Fanny Mallette dans la pièce «Cheech», jouée à La Licorne.

Et visiblement, son intuition ne l’a pas trompé. En sortant de l’école de théâtre, François Létourneau a écrit une pièce qui s’intitulait Stampede. Claude Poissant, metteur en scène chevronné, décide de la monter l’année suivante – ce qui lui donne une bonne dose de confiance. Ensuite, le jeune auteur écrit Cheech, qui connaîtra un vif succès et mènera à une tournée (et qui sera porté au grand écran, un peu plus tard, en 2006).

«C’est à ce moment-là que Les Invincibles est arrivé. J’ai été très chanceux, je trouve. Tout ce que j’ai écrit a toujours été monté. Ma première pièce, mon premier scénario de télé... J’ai aussi été bien entouré.»

Après Les Invincibles et Série noire

Après deux séries devenues cultes, François Létourneau s’est lancé dans l’écriture d’une nouvelle oeuvre qui marie un peu les thèmes centraux de ses premiers succès: les relations de couple… et l’initiation à la criminalité.

«C’est un peu comme si j’avais pris Scènes de la vie conjugale, d’Ingmar Bergman, et Goodfellas, de Martin Scorsese, et que j’avais mélangé ça, résume-t-il. C’est d’abord une série sur le couple. C’est une comédie, mais il y a des choses profondes qui sont dites sur la difficulté d’être en couple quand on a des enfants. Cette idée que, des fois, quand on est en couple, on a envie de tuer l’autre! C’est le point de départ de la série.»

François Létourneau a eu l’idée de départ de C’est comme ça que je t’aime en revenant d’aller reconduire son fils à un camp de vacances.

«J’étais stressé avec ma blonde, parce que ça faisait huit ans qu’on avait pas été les deux ensemble... et je me suis souvenu que moi, quand j’avais 10-12 ans, quand je suis revenu du camp de vacances, c’est là que mes parents m’ont annoncé qu’ils se séparaient», se remémore le comédien.

Mais là s’arrête la comparaison avec sa propre vie, assure le scénariste, qui a aujourd’hui 45 ans. Parce que dans la série, les deux couples protagonistes vont se lancer dans le crime organisé pour rallumer la flamme dans leur relation, dans le Sainte-Foy des années 1970.

Cette fois-ci, François Létourneau a écrit seul le scénario, et son acolyte Jean-François Rivard réalise le tout.

«C’était un défi... Mais Jean-François et moi, on était arrivés au bout d’une façon de travailler ensemble. On n’était plus capables d’écrire ensemble, en fait. Mais on voulait travailler encore ensemble, parce qu’on trouvait qu’on s’apportait beaucoup.»

Celui qui incarnera Gaétan, dans C’est comme ça que je t’aime, estime que l’écriture télé en solo lui a permis d’explorer de nouvelles avenues, plus personnelles, et d’évoquer des souvenirs de jeunesse.

«Je pense que les gens vont reconnaître ma signature, mais aussi celle de Jean-François... C’était un peu ma crainte, je me disais: ″Est-ce que Jean-François va être capable de s’impliquer autant que quand il écrivait avec moi?″ Et c’est ce qu’il a fait. Il a vraiment plongé là-dedans.»

Autre différence notable: les personnages féminins seront plus forts, plus importants, dans cette nouvelle série. D’ailleurs, le personnage principal de la série est Huguette (Marilyn Castonguay), la femme de Gaétan, enceinte d’un deuxième enfant – un peu comme Carlos était le personnage central dans Les Invincibles.

«C’est vraiment la femme au foyer qui a un peu tout abandonné pour son mari... mais qui n’est vraiment pas bien là-dedans, elle n’est même plus capable de me sentir. Dans le premier épisode, on sent qu’elle pense vraiment à me tuer!»

François Létourneau affirme s’être beaucoup inspiré de sa mère, «une féministe radicale», pour créer ses personnages féminins.

La troupe de C’est comme ça que je t’aime, qui sera disponible sur Tou.tv Extra dès vendredi, revient d’ailleurs de Berlin, où la série était présentée en compétition à la Berlinale dans la section «Berlin Special Series».

François Létourneau a déjà commencé l’écriture de la deuxième saison. Il travaille également sur un projet de long métrage qui aborde l’amour à sens unique, et qui se déroule dans les années 1990 dans une bureau spécialisé en télécopie.

Il avoue ne pas avoir un rêve d’acteur en particulier… seulement de pouvoir continuer à pouvoir créer ses oeuvres et les jouer, dans un milieu où la durabilité est le plus grand défi.

«Il y a plein de jeunes qui arrivent... Il y a 15 ans, c’était nous, mais là, il y en a des nouveaux qui vont nous tasser! s’exclame-t-il en riant. Tu te dis: ″Est-ce que j’ai encore ma place? Mais je pense que oui. Comme auteur, je sais que je vais écrire toute ma vie.»

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