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La barbarie à visage humain

Et si la guerre actuelle est une guerre contre le terrorisme, comme le déclarait Kerry, pourquoi la racine du mal fait-elle partie de la coalition ?
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Cela fait plusieurs semaines que la coalition bricolée par Barack Obama bombarde les territoires de la partie syrienne de l'État islamique. Plusieurs semaines que la coalition chercher le fil réducteur de leur mission. Plusieurs semaines qu'elle est divisée sur le sujet des territoires à bombarder. Et du même coup, plusieurs questions se posent, notamment sur l'intérêt des chaque pays dans cette coalition, ainsi que, la logique directive de la guerre contre l'État islamique. Dans le cadre de ces lignes, nous allons survoler ces questions.

Ni victimes ni bourreaux

Plus de dix pays sont entrés officiellement en guerre commune contre l'État islamique. Du moins, sur papier. Car si la coalition, dépannée, formée par Obama est en train de diriger des frappes militaires un peu partout dans les régions contrôlées par l'EI, derrière, chacun à son combat : les Turques contre les Kurdes, les sunnites contre les chiites, des filières d'Al-Qaïda contre l'EI et la guerre, de trop, des occidentaux contre quelques pays de la région.

Kobané, ville frontière entre la Syrie et la Turquie, représente, depuis quelques semaines, à elle seule, le triple jeu que mène Ankara dans la guerre contre l'État islamique. Car si Kobané est aujourd'hui une ville maitresse dans le plan de l'EI pour relier Rakka, sa capitale, à Alep. Ce qui constitue en soi un positionnement géopolitique très imposant pour les milices islamistes dans le territoire syrien. La Turquie, elle, voit en sa tombée dans leur main un affaiblissement au régime syrien de Al-Assad d'une part, mais aussi, et surtout, au Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK, ndlr), parti qui depuis 1984 se bat pour l'indépendance des territoires kurdes en Turquie. Le président turc Recep Tayyip Erdogan a déclaré récemment que « le PKK et l'EI représentent le même danger pour le pays ». Un message qui brouille les cartes sur les intentions réelles de l'engagement turc dans la coalition et qui peut-être interpréter ainsi : il faut en finir aussi avec le régime Syrien et s'affronter tant du PKK que de l'EI, à les laisser se détruire comme deux organisations terroristes.

Un autre combat est en train d'être mené par les membres de la coalition. Et celui-ci est, sans doute, le plus ancien. Une guerre de force et de domination régionale. Composant, l'Arabie Saoudite et quelques pays du Golf contre l'Iran, la Syrie et le Hezbollah. Une discorde politico-confessionnelle qui est facile à deviner : le sunnisme contre le chiisme. Une guerre de déstabilisation politique et d'annexion idéologique de territoires : une nouvelle forme d'impérialisme. L'ancien consistant à coloniser un pays et à y installer des institutions coloniales ne marche plus et ses moyens économiques se font rares. Il s'agit aujourd'hui de démanteler les États qui ont été difficilement contrôlables. Au final le but est de les pousser à la situation actuelle de la Libye. C'est-à-dire un pseudo-État divisé en des gouvernements, selon les conceptions religieuses de chacun, et qui ne gouvernent rien, laissant place au final à des milices qui protègent quelques points stratégiques seulement du pays, à savoir... les territoires pétroliers.

La troisième guerre qui est en train de s'ouvrir et qui est peut-être la plus inattendue : une guerre entre islamistes. Il y a de plus en plus de dissidents ou d'anciens d'Al-Qaïda qui se rallient à l'État islamique, mais qui, de fait, provoquent une opposition forte des islamistes en place. Aujourd'hui, dans le territoire même contrôlé par l'EI plusieurs régions commencent à se diviser. Notamment, dans le territoire syrien, où beaucoup se sont ralliés au révolté libre de Syrie, accusant l'EI de travestir l'objet premier de la révolte.

Et finalement, la guerre que les Occidentaux mènent contre les pays de la région. C'est d'ailleurs la quatrième guerre que les États-Unis mènent au Moyen-Orient. Le but, premier, étant d'institutionnaliser leur présence dans la région, de faire comprendre qu'ils peuvent bombarder là où bon leur semble. Car ils n'ont jamais lâché l'idée de faire tomber le régime syrien. En 2013 déjà, on voulait le bombarder sur la question de l'utilisation des armes chimiques, cela n'a pas marché : la Russie refusait, la Syrie tenait bon, l'opinion publique pas si exaltée. Aujourd'hui ils y rentrent par une autre porte : le combat contre le terrorisme. Kerry déclarait même que les États-Unis sont en guerre contre le terrorisme et non contre l'État islamique. C'est pour cette raison que la Syrie ne participe pas à la coalition, même s'il s'agit de son territoire occupé. Car, elle ne sait jamais quand est-ce qu'elle sera ennemie de la lutte contre le terrorisme.

Cette guerre vaut au final ce qu'elle vaut. Et pour aller plus loin dans notre démonstration de son absurdité concluons cette partie en reprenons une vérité : les interventions militaires ne détruisent pas autre chose qu'un État. Or, et contrairement à ce que son nom affirme, l'État islamique n'est nullement un État. C'est un groupe terroriste qui contrôle des villes clés dans le territoire Syrien et Irakien. Ces terroristes peuvent laisser tomber des villes, se replier sur d'autres et annexer d'autres selon leur intérêt géopolitique et l'intensité des frappes.

En 1999, c'est près de 2500 frappes qui étaient dirigées par l'OTOàAN contre le Kosovo. La comparaison doit être nuancée certes. Car les territoires conquis par l'EI et le territoire sur lequel a été déclarée la guerre du Kosovo ne sont pas les mêmes. Mais si nous le comparons, cela nous donnerait, approximativement, le temps que ça prendra pour réduire la capacité de l'État islamique.

Et si la guerre actuelle est une guerre contre le terrorisme, comme le déclarait Kerry, pourquoi la racine du mal fait-elle partie de la coalition ?

Contre l'ombre qui nous échappe

Faisons une rétrospective sur l'histoire de ce qu'on appelle aujourd'hui le djihadisme. La première organisation djihadiste, Al-Qaïda, a été créée pour combattre l'URSS en Afghanistan par la CIA, l'Arabie Saoudite, et quelques branches des services de renseignement pakistanais.

Le djihadisme n'est pas une idéologie religieuse, ce n'est pas un courant de pensée propagé par un théologien ou un penseur. C'est une affaire de politique international. Elle qui consiste à contrôler ce que nous ne possédons pas contre l'ennemi. Et pour ce, nous faisons appel à la foi. Une foi propagée par l'idéologie extrémiste du Wahhabisme (école religieuse de l'Arabie Saoudite, ndlr).

Le diplomate et historien Alastair Crooke, spécialiste dans l'histoire de l'Arabie saoudite écrivait sur ce sujet il y a quelques semaines : « C'est grâce à son adoption volontaire de cette langue wahhabite que l'État islamique porte en lui le potentiel d'une grande explosion régionale. Cet idéal puritain et prosélyte a été formulé par al-Wahhab, le "père" de l'ensemble du "projet" saoudien. L'État islamique tend aujourd'hui un miroir à la société saoudienne en revendiquant cet héritage. Aujourd'hui, le travail de sape de l'EI contre le royaume saoudien n'est pas perçu comme un problème, mais comme un retour aux véritables origines du projet wahhabite saoudien »(1)

En effet, la présence de l'Arabie Saoudite ne représente rien, à part, l'immobilité interne dans le traitement du radicalisme islamiste sunnite. Al-Qaïda, l'EI, Boko Haram, Al-Shabab sont tous des groupes sunnites salafistes violents et pendant 50 ans, l'Arabie Saoudite a été le parrain du salafisme sunnite dans le monde entier. Elle a mis au monde le monstre qu'est le terrorisme salafiste. Et ce n'est sans doute pas en l'attaquant à tout ombre qui ne nous suit pas (l'Etat Islamique contre le Kurdistan) ou qui ne nous suit plus (Al-Qaïda) que nous allons finir avec l'extrémisme religieux. Mais c'est aux racines idéologiques de cet extrémisme qu'il faudrait se charger.

Ce sont là, en tous cas, des motifs de réflexion sur un projet militaire absurde. D'un côté, nous l'avons vu, chaque pays de la coalition à un parti à prendre, suivant le processus habituel de la logique des intérêts économiques et géopolitiques. Et d'un autre côté, un projet sans morale : la volonté de détruire l'État Islamique, sans détruire l'idéologie qui le porte. Je ne puis m'étendre encore plus sur le cadre de cet article. Disons seulement que la vraie solution, est de construire, parallèlement avec les actions militaires, un nouveau contrat social, qui remaniera toutes les morales qui constituent les sociétés moyen-orientales actuelles, et qui les portera vers une société avec des structures durables avec lesquelles les révolutions se définissent.

(1) Il s'agit d'une traduction libre de l'article de A. Crooke publié ici.

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Peu après le début de la guerre en Irak menée par les Etats-Unis, un nouveau groupe jihadiste voit le jour en Irak. C'est l'origine de l'Etat islamique. Ce groupe se présentait comme le défenseur de la minorité sunnite face aux chiites qui ont pris le pouvoir avec l'invasion conduite par les Etats-unis en 2003. Il se fait connaître par des tueries de chiites et les attaques-suicides contre les forces américaines.Sa brutalité et son islam intransigeant pousseront finalement les tribus sunnites à le chasser de leur territoire. Traqués en Irak, ses membres dès juillet 2011, soit trois mois après le début de la révolte contre Bachar al-Assad, sont appelés à aller combattre en Syrie contre le régime. Une implication dans le conflit syrien qui lui permet un véritable essor. En Syrie, rapidement apparaissent les dissensions entre jihadistes irakiens et syriens. Les premiers proposent la création en avril 2013 de l'Etat islamique d'Irak et du Levant (EIIL) mais le chef syrien refuse et maintient le Front al-Nosra qui devient la branche officielle d'al-Qaïda en Syrie.Fort de ses victoires en Irak et en Syrie, le chef de l'EIIL Abou Bakr al-Baghdadi proclame en juin 2014 un "califat" à cheval sur les deux pays. A cette occasion, le groupe jihadiste est renommé Etat islamique (EI). Il est appelé ISIS en anglais et Daesh en arabe.Photo: le drapeau de l'Etat islamique (credit:DR)
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Il n'y a pas de chiffres précis. L'observatoire syrien des droits de l'Homme (OSDH) évalue en Syrie à plus de 50.000 le nombre de ses combattants, dont 20.000 non syriens, venus du Golfe, de Tchétchénie, d'Europe et même de Chine.En Irak, selon Ahmad al-Sharifi, professeur de Sciences politiques à l'université de Bagdad, l'EI compte entre 8000 et 10.000 combattants dont 60% d'Irakiens. L'EI recrute beaucoup à travers les réseaux sociaux, mais nombreux sont les rebelles qui le rejoignent par peur ou allécher par les salaires offerts. (credit:Associated Press)
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Les experts estiment qu'il y a plusieurs sources de financement. D'abord, il y aurait des contributions de pays du Golfe. Le ministre allemand de l'aide au développement Gerd Müller a par exemple accusé directement le Qatar.Pour Romain Caillet, expert des mouvements islamistes, c'est essentiellement un auto-financement. Selon lui, le financement extérieur, dont de certaines familles du Golfe représente seulement 5% de ses ressources.Ensuite, l'Etat islamique soutire de l'argent par la force en pratiquant l'extorsion ou en imposant des impôts aux populations locales.A cela s'ajoutent la contrebande de pétrole et de pièces d'antiquité, les rançons pour la libération d'otages occidentaux et les réserves en liquide des banques de Mossoul dont s'est emparé l'EI au début de son offensive fulgurante lancé début juin en Irak.Selon Bashar Kiki, le chef du conseil provincial de Ninive, dont Mossoul est la capitale, les réserves en liquide des banques de la ville atteignaient avant cette offensive environ 400 millions de dollars, auxquels il faut ajouter quelque 250.000 dollars qui se trouvaient dans les coffres du conseil provincial. (credit:Associated Press)
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