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La face "noire et muette" de la société française mise à nu dans un documentaire

La face "noire et muette" de la société française mise à nu dans un documentaire

Seule au bord de l'eau, elle donne du pain aux canards: "Je suis exclue de tout, de tout". "Je ne fais plus partie du monde qui bouge", résume cette femme, illustration d'une misère croissante en France.

Dans "Se battre", un documentaire présenté à compter de mercredi dans un cinéma parisien, la parole est donnée aux "sans voix" devenus invisibles en France. Dans l'un des Etats les plus riches au monde, ils seraient des dizaines de milliers à vivre dans des conditions de vie parfois peu éloignées de celles de pays en développement.

On ne sait rien d'elle, ni son nom, ni son histoire, si ce n'est que cette femme entre deux âges habite Givors, ancienne ville ouvrière près de Lyon (est), frappée par la désindustrialisation. Et qu'elle fait partie de ces "millions de Français pour qui la vie se joue chaque mois à 50 euros près".

C'est "la face noire et muette de notre société" à laquelle les réalisateurs du documentaire, Jean-Pierre Duret et Andréa Santana, ont choisi de donner la parole.

"Je ne peux plus lire. J'allais à la bibliothèque, mais ma vue a changé énormément, je ne peux pas me payer une autre paire de lunettes", poursuit la femme dans le film. "Des petits plaisirs, je ne m'en fais plus. Si, je m'en fais quand je suis ici", rectifie-t-elle.

Puis elle part, décrochant avec d'infinies précautions son sac en plastique accroché à une jeune pousse d'arbre qu'elle ne veut pas briser.

Pas d'histoire, pas de commentaire, pas de voix off: juste l'impact des témoignages et des visages filmés de près, des fragments de vie.

"Nous n'avons pas à mettre nos mots sur les mots des autres. Ce film est destiné principalement à mettre en valeur les leurs", explique à l'AFP Jean-Pierre Duret. "Nous n'avons pas de leçons à donner, chacun ressort du film avec des mots, des visages et doit faire son propre travail".

Pendant trois mois, le couple de réalisateurs a suivi des habitants de Givors qui luttent ainsi chaque jour pour survivre, rencontrés par le biais d'une organisation caritative ou comme cette femme, au hasard de leurs déambulations dans la ville.

Ils ont aussi filmé le quotidien des bénévoles qui leur viennent en aide, l'entreprise d'insertion, les tournées pour collecter les invendus des supermarchés, l'"épicerie" installée dans les locaux de l'association Secours populaire.

"Vous étiez venu le 28 novembre, vous êtes un peu en avance, c'est trop tôt pour vous servir", explique avec bienveillance une volontaire à l'homme aux cheveux gris, l'air fatigué, qui se présente ce jour-là. "Je n'ai plus rien à manger. Il me restait un steak haché, je l'ai mangé hier soir", répond-il.

"Je suis un peu énervée d'être là", dit pudiquement une sexagénaire qui vient pour la première fois demander de l'aide. "Avec 109 euros, je ne peux pas...".

Cette ancienne cadre d'une maison d'édition, qui gagnait jadis "20 à 30.000 francs (entre 3.000 et 4.500 euros) par mois", cherche encore un emploi: "quand tu retombes sur des fiches de paie, des papiers, tu te dis: t'es devenue quoi?".

Jean-Pierre Duret et Andréa Santana ont "tout fait" pour que ce film sorte avant les élections municipales prévues les 23 et 30 mars: "Notre objectif était qu'il serve à un débat". Mais en se "plaçant sur le plan citoyen" plus que politique.

"Nous sommes des millions à ne pas aimer cette société à deux vitesses que nous sommes en train d'accepter", poursuit le réalisateur. "Cela franchit allègrement les rapports gauche/droite".

Selon l'Observatoire des inégalités, dont les dernières données datent de 2011, la France compte deux millions de personnes vivant avec moins de 656 euros par mois, 3,6 millions de mal-logés et 3,5 millions de bénéficiaires de l'aide alimentaire.

Selon cet observatoire, la France comptait en 2011 entre 4,9 et 8,7 millions de pauvres selon la définition adoptée du seuil de pauvreté.

L'observatoire souligne que la dégradation économique enregistrée depuis 2008 pèse tout particulièrement sur les moins favorisés.

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