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San Bernardino: Apple, le secret, la transparence et la vertu

Le FBI détient des centaines d'Iphone en attente de décryptage. Dans le monde physique cette demande serait celle d'un passe pour ouvrir un, mais aussi des centaines de milliers puis des millions de verrous.
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Le 2 décembre 2015, Syed Rizwan Farook, un homme d'origine pakistanaise âgé de 28 ans, et sa femme, Tashfeen Malik, rencontrée sur internet et mariés en Arabie saoudite abattaient 14 personnes et en blessaient 21 au déjeuner de Noël d'un centre d'aide aux chômeurs et sans abri de San Bernardino en Californie. Ces deux criminels dont l'action a été revendiquée de manière ambiguë par Daech ont été tués au moment de leur arrestation après un échange de tirs avec les forces de police. Ils laissaient derrière eux une petite fille de six mois et dans leur poche un iPhone.

Dans ses investigations, le FBI bloque l'iPhone par une fausse manœuvre et par conséquent toute possibilité d'avoir accès à son stock global d'infos sur le cloud. Le FBI somme Apple de lui fournir un logiciel permettant de contourner le cryptage de l'iPhone. La firme refuse en défendant l'intérêt des millions de consommateurs qui souhaitent continuer à protéger les milliards d'informations privées contenues dans leurs iPhones:

«le FBI a demandé à la cour une injonction pour nous obliger à leur donner quelque chose que nous n'avons pas et à créer un système qui n'existe pas parce qu'il serait trop dangereux. Ils nous demandent de créer une porte dérobée dans l'iPhone par la création d'un logiciel pouvant casser le cryptage qui protège toutes les données personnelles sur chaque iPhone». [1]

Apple fait remarquer très justement que dans le monde physique on peut détruire quelque chose mais que dans le monde numérique, la technique une fois créée, peut être utilisée de manière infinie sur tout appareil. Le FBI détient des centaines d'Iphone en attente de décryptage. Dans le monde physique cette demande serait celle d'un passe pour ouvrir un, mais aussi des centaines de milliers puis des millions de verrous.

Le juge américain a botté en touche en priant le FBI de se débrouiller pour trouver un expert extérieur capable de faire ce décryptage. Une société israélienne se serait vantée de pouvoir y parvenir avant le 5 avril [2]. Est-ce ce volontaire qui a réussi à percer le cryptage de l'appareil dans la journée de lundi? Ou un autre intervenant? On le saura dans la journée. On en est là pour le moment aux États-Unis. Avec une situation qui s'est aggravée et encore compliquée depuis la réussite d'un décrytage réussi apparemment sans la collaboration de Apple.

En Grande-Bretagne, une loi est en discussion, l'Investigatory powers Bill, surnommée la Snooper charter, autrement dit la charte des mouchards, votée en mars. Ce texte obligerait Apple à «laisser hacker» ses propres appareils unless not reasonably praticable (sauf si c'est déraisonnable sur le plan pratique). Il faut maintenant le vote de la chambre des Lords. En France, Philippe Goujon et Éric Ciotti, députés Les Républicains, se sont emparés du sujet et ont réussi malgré la réticence du gouvernement à faire voter un amendement punissant de 5 ans de prison et 350 000 euros d'amende le fabricant qui, dans les enquêtes sur les crimes et délits terroristes, refuserait de procurer à l'autorité judiciaire «les données protégées par un moyen de cryptologie». Le Sénat traditionnellement plus sensible à la protection des libertés publiques a démoli ce texte et se proposerait de le réécrire cette semaine avant de l'envoyer en commission mixte paritaire .

Par-delà les prétextes à batailles politiques et à épisodes judiciaires, la question qui se pose est doublement politique et philosophique. Politiquement, le haut-commissaire des Nations Unies aux droits de l'Homme, le jordanien Zeid Ra'ad Zeid Al-Hussein, a déclaré le 4 mars 2016 à Genève dans un avis non juridiquement contraignant qu'«il existe de nombreux autres moyens pour enquêter et découvrir si les meurtriers avaient des complices, en dehors de contraindre Apple à créer un logiciel pour affaiblir les dispositifs de sécurité de ses propres téléphones. (...) Cette affaire aura des conséquences énormes pour l'avenir de la sécurité des personnes dans le monde numérique qui est de plus en plus intimement lié au monde actuel dans lequel nous vivons». Et d'ajouter avec clairvoyance:

«Afin d'obtenir des informations supplémentaires sur le crime atroce commis à San Bernardino, nous pourrions bien finir par permettre à quantité d'autres crimes d'être commis à travers le monde, y compris aux États-Unis. (...) L'affaiblissement des protections par chiffrement pourrait être porteur de dangers plus grands encore pour la sécurité nationale et internationale».

Le problème politique est ainsi celui d'une appréciation globale du rapport qualité/prix d'une mesure de sécurité prise sous le coup d'une émotion très forte ou d'un besoin ponctuel devenu protubérant puis étouffant. On le voit très souvent dans ce domaine hautement sophistiqué qu'est la sécurité aérienne: faut-il ajouter des alarmes à celles existantes au risque de saturer la capacité d'écouter, et donc de ruiner le principe même de l'alarme (débat autour de l'A447 Rio Paris)? Faut-il blinder la porte du cockpit d'un avion pour empêcher les terroristes d'y pénétrer? Mais quid si un pilote s'enferme dans le cockpit et précipite l'avion sur une montagne avec 150 passagers dans l'avion et le commandant tentant sans espoir d'ouvrir à la hache la porte blindée (German Wings)?

En matière de sûreté, le paradoxe est vite atteint comme avec l'affaire Apple. Quel effet boomerang, sur la quantité de crimes commis contre les particuliers et les institutions publiques aurait le contournement du cryptage des appareils par l'obligation faite à leurs fabricants d'inventer un logiciel détruisant de façon suicidaire les dispositifs de protection au service des citoyens.

Le deuxième problème est philosophique. L'humanité est-elle capable de trouver une limite à la transparence, celle aujourd'hui d'un appareil, demain celle de la parole chuchotée à l'oreille de son voisin, puis celle de la conscience fabriquée par le cerveau de tout à un chacun et qu'on va un jour ou l'autre finir par vouloir et pouvoir déchiffrer.

Non, la transparence n'est pas une vertu mais une technique utile comme le secret, l'une et l'autre occupant une face de la même médaille. C'est le jeu intelligent et circonstancié entre ces deux faces qui est vertueux. Aujourd'hui le secret doit être défendu. C'est l'attitude éthique, et demain, en une autre occasion, ce sera la transparence.

La puissance d'arbitrage appartient au juge. À la Cour Suprême américaine et au conseil Constitutionnel en France. Et si, par extraordinaire malgré la créativité des juges, les constitutions américaine et françaises ne permettaient pas de trouver les principes applicables, il appartiendra au politique de procéder à une révision constitutionnelle. Cela en vaut la peine car, avec le developpement infini du numerique et de l'intelligence artificielle, cette question va prendre une importance colossale pour la vie des gens, leur sûreté, leur sécurité, tout simplement pour l'ordre public et elle doit être démocratiquement encadrée.

Références:

[1] Bruce Sewel, General Consel d'Apple, dans sa déposition au comité des lois de la chambre des représentants le 1er mars 2016.

[2]Selon le journal israëlien Yediot Achronot, 22 mars 2016.

chambre des représentants le 1er mars 2016.

Ce billet de blogue a été initialement publié sur le Huffington Post France?

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Fusillade à San Bernardino, en Californie
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A man hugs a person who was near a shooting rampage at a social services center that killed multiple people and wounded others, Wednesday, Dec. 2, 2015, at a community center where family members gathered to pick up the survivors in San Bernardino, Calif. (AP Photo/Jae C. Hong) (credit:ASSOCIATED PRESS)
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A woman who declined to give her name kisses her sister, center, a survivor of a shooting rampage that killed multiple people and wounded others as they reunite at a community center in San Bernardino, Calif., Wednesday, Dec. 2, 2015. (AP Photo/Jae C. Hong) (credit:ASSOCIATED PRESS)
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A man and his daughter who survived a shooting rampage that killed multiple people leave a community center after a brief interview with reporters in San Bernardino, Calif., Wednesday, Dec. 2, 2015. (AP Photo/Jae C. Hong) (credit:ASSOCIATED PRESS)
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People who were near a shooting rampage at a social services center that killed multiple people and wounded others arrive at at a community center to reunite with their family members in San Bernardino, Calif., Wednesday, Dec. 2, 2015. (AP Photo/Jae C. Hong) (credit:ASSOCIATED PRESS)
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People who were near a shooting rampage that killed multiple people at a social services center, Wednesday, Dec. 2, 2015, leave a community center after they reunited with friends and family in San Bernardino, Calif. (AP Photo/Jae C. Hong) (credit:ASSOCIATED PRESS)
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People wait at a community center for a family member who was near a shooting that killed multiple people at a social services center, Wednesday, Dec. 2, 2015, in San Bernardino, Calif. (AP Photo/Jae C. Hong) (credit:ASSOCIATED PRESS)
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Law enforcement officials with armored vehicles search an area near where police stopped a suspect SUV in San Bernardino, Calif., Wednesday, Dec. 2, 2015. The search followed a military-style attack that killed multiple people and wounded others at a California center that serves people with developmental disabilities, authorities said. (AP Photo/Chris Carlson) (credit:ASSOCIATED PRESS)
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People who were near a deadly shooting at a social services center that killed multiple people arrive at at a community center in San Bernardino, Calif., Wednesday, Dec. 2, 2015. (AP Photo/Jae C. Hong) (credit:ASSOCIATED PRESS)
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People who were near a shooting rampage that killed multiple people and wounded others at a social services center look out the window of a bus as they arrive at a community center in San Bernardino, Calif., Wednesday, Dec. 2, 2015. (AP Photo/Jae C. Hong) (credit:ASSOCIATED PRESS)
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Law enforcement search for a suspect in a mass shooting at a Southern California social services center on Wednesday, Dec. 2, 2015, in San Bernardino, Calif. One or more gunmen opened fire Wednesday at a California center that serves people with developmental disabilities, shooting several people as others locked themselves in their offices, desperately waiting to be rescued by police, witnesses and authorities said. (AP Photo/Chris Carlson) (credit:ASSOCIATED PRESS)
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A police officer escorts people from a bus after they were transported from a social services center after a deadly shooting that killed multiple people, Wednesday, Dec. 2, 2015, at a community center in San Bernardino, Calif., Wednesday, Dec. 2, 2015. (AP Photo/Jae C. Hong) (credit:ASSOCIATED PRESS)
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Law enforcement officials with armored vehicles search an area near where police stopped a suspect SUV in San Bernardino, Calif., Wednesday, Dec. 2, 2015. The search followed a military-style attack that killed multiple people and wounded others at a California center that serves people with developmental disabilities, authorities said. (AP Photo/Chris Carlson) (credit:ASSOCIATED PRESS)
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San Bernardino Police Chief Jarrod Burguan, right, talks to the media near the the site of a mass shooting on Wednesday, Dec. 2, 2015, in San Bernardino, Calif. One or more gunmen opened fire Wednesday at a Southern California social services center, shooting several people as others locked themselves in their offices, desperately waiting to be rescued by police, witnesses and authorities said. Authorities said the shooting rampage killed multiple people and wounded others. (AP Photo/Chris Carlson) (credit:ASSOCIATED PRESS)
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Two women embrace at a community center where family members are gathering to pick up survivors after a shooting rampage that killed multiple people and wounded others at a social services center in San Bernardino, Calif., Wednesday, Dec. 2, 2015. (AP Photo/Jae C. Hong) (credit:ASSOCIATED PRESS)
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Two women comfort each other near the scene of a shooting outside a Southern California social services center in San Bernardino, Calif., where one or more gunmen opened fire, shooting multiple people on Wednesday, Dec. 2, 2015. (KNBC via AP) TV OUT (credit:ASSOCIATED PRESS)
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A woman holds her arm as first responders attend to people outside a Southern California social services center in San Bernardino, Calif., where one or more gunmen opened fire, shooting multiple people on Wednesday, Dec. 2, 2015. (KNBC via AP) TV OUT (credit:ASSOCIATED PRESS)
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First responders attend to people outside a Southern California social services center in San Bernardino, where one or more gunmen opened fire, shooting multiple people on Wednesday, Dec. 2, 2015. (KNBC via AP) (credit:ASSOCIATED PRESS)
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A first responder attends to a person outside a Southern California social services center in San Bernardino, where authorities said multiple people were shot Wednesday, Dec. 2, 2015. (KNBC via AP) (credit:ASSOCIATED PRESS)
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Law enforcement members line up near the the site of a mass shooting on Wednesday, Dec. 2, 2015 in San Bernardino, Calif. One or more gunmen opened fire Wednesday at a Southern California social services center, shooting several people as others locked themselves in their offices, desperately waiting to be rescued by police, witnesses and authorities said.(AP Photo/Chris Carlson) (credit:ASSOCIATED PRESS)
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This aerial view shows a Southern California social services center in San Bernardino, Calif., where authorities said multiple people were shot Wednesday, Dec. 2, 2015. (KTTV via AP) TV OUT (credit:ASSOCIATED PRESS)
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In this aerial view, first responders gather on a nearby street corner, lower left, outside a Southern California social services center, upper right, in San Bernardino, Calif., where authorities said multiple people were shot Wednesday, Dec. 2, 2015. (KTTV via AP) (credit:ASSOCIATED PRESS)
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Law enforcement officials walk with weapons drawn outside a Southern California social services center in San Bernardino, Calif., where authorities said multiple people were shot Wednesday, Dec. 2, 2015. (KTTV via AP) (credit:ASSOCIATED PRESS)
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First responders gather on a nearby street corner as victims are treated outside a Southern California social services center in San Bernardino, Calif., where authorities said multiple people were shot Wednesday, Dec. 2, 2015. (KTTV via AP) (credit:ASSOCIATED PRESS)
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San Bernardino Police Chief Jarrod Burguan talks to the media near the the site of a mass shooting on Wednesday, Dec. 2, 2015 in San Bernardino, Calif. One or more gunmen opened fire Wednesday at a Southern California social services center, shooting several people as others locked themselves in their offices, desperately waiting to be rescued by police, witnesses and authorities said. Authorities said the shooting rampage killed multiple people and wounded others. (AP Photo/Chris Carlson) (credit:ASSOCIATED PRESS)

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