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La descente aux enfers d'Erdoğan

De tous les chefs du Moyen-Orient qui connurent une fin tragique, tels Saddam, Moubarak ou Kadhafi, le sort réservé à Erdoğan pourrait être encore plus terrible.
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Il fut un temps, en 2003, immédiatement après la première victoire électorale de Recep Tayyip Erdoğan, où les religions et les peuples de Turquie qui avaient souffert du kémalisme soldatesque d'ultranationalisme, avec ses coups d'État répétés, se tournaient vers lui, ce musulman d'origine géorgienne de la mer Noire affichant une doctrine modérée. Il déclarait alors vouloir faire revivre la tolérance du temps de l'empire ottoman. En effet, cet empire, continuateur depuis 2000 ans de l'empire de la Région intermédiaire qui était passé par la Perse, Alexandre le Grand, Rome et Byzance, avait témoigné du respect des religions et des ethnies qui avaient toujours formé la mosaïque de son empire œcuménique, dans le cadre d'une décentralisation administrative à laquelle seule la Confédération canadienne d'aujourd'hui pourrait se comparer.

Pendant dix ans, de 2003 à 2013, avec le soutien du patriarche œcuménique grec-orthodoxe Bartholomée, des communautés religieuses arménienne et juive, de la vaste communauté religieuse des Alévis et même d'un soutien prudent de la communauté kurde, qui espérait aboutir à un entendement d'autonomie au cours de pourparlers prometteurs qui avaient commencé du temps du président Turgut Özal ; pendant une décennie, dis-je, au cours de laquelle Erdoğan suivait à la lettre les conseils de son mentor, Fethullah Gülen, j'étais à ses côtés dans l'espoir qu'il fasse revivre la version sécularisée de cette Société des Nations, des 644 années de l'empire ottoman.

Et tout d'un coup, la mégalomanie qui frappa dans le passé bien des dirigeants de grand talent s'empara de lui. Il se mit à construire un palais présidentiel des Mille et Une Nuits. Il visita les pays arabes en se posant en sultan et calife, et commença à craindre que l'organisation étatique guléniste, qu'il avait lui-même mise en place comme bouclier contre la soldatesque kémaliste, pouvait lui contester le pouvoir absolu à cause de sa dérive vers le luxe et la corruption.

Et alors, comme Alexandre le Grand, contre son mentor Aristote et le neveu de ce dernier, Callisthène, qui refusa les critiques du maître et de son neveu qui l'accusaient de dérive morale et autoritaire, imposant la proskynèse et exigeant du peuple dont il fut reconnu dieu, et qui alla jusqu'à mettre à mort Callisthène en 327 av. J.-C., Erdoğan exigea la mort de son maître Gülen.

Mais le président turc, pris de rage, alla plus loin encore qu'Alexandre dans son délire impérial. Alors qu'il continuait un pogrom sans précédent dans tous les rouages de son appareil étatique, Erdoğan appela à moucharder tous ceux, non seulement en Turquie mais dans le monde, qui comme Kitsikis, continuaient à soutenir son ancien maître!

De tous les chefs du Moyen-Orient qui connurent une fin tragique, tels Hussein, Moubarak ou Kadhafi, le sort réservé à Erdoğan pourrait être encore plus terrible.

Plus précisément, dans un discours qu'il prononça devant les membres du «Conseil des exportateurs de Turquie», il déclara : «Je demande votre aide sur deux points. D'abord, d'expliquer à l'étranger le vrai visage du coup d'État. Ensuite, de dénoncer ceux que vous connaissez comme étant des gulénistes, en donnant leurs noms à la justice de notre pays. Il s'agit d'un devoir patriotique».

Erdoğan qualifia les supporters de Gülen comme des microbes à éliminer, de la même façon qu'il fallait éliminer l'organisation État islamique (qui lui faisait concurrence pour le titre convoité de Calife) et l'organisation kurde PKK.

Plus encore, l'AKP, le parti d'Erdoğan, publia sur Facebook une annonce demandant à quiconque possédant des informations concernant une activité guléniste de téléphoner à un numéro turc pour dénoncer les supporters de Gülen. Toute position contraire était considérée comme un acte de trahison.

Le 9 août, Erdoğan s'embarqua pour Moscou à la rencontre de Vladimir Poutine, dans un geste désespéré pour échapper au couperet suspendu au-dessus de sa tête par les États-Unis et l'OTAN. Mais un renversement d'alliances serait un saut vers le précipice. D'abord, parce que Poutine, ennemi déclaré d'Erdoğan, est bien décidé à lui faire cracher du sang. Ensuite, dans la perspective d'une victoire de Trump aux élections américaines pour les présidentielles de novembre, l'accord du nouveau Yalta russo-américain sera probablement scellé, ce qui aura comme résultat pour la Turquie l'établissement d'un condominium russo-américain, suivi bien entendu de la chute, sinon de l'assassinat d'Erdoğan.

De tous les chefs du Moyen-Orient qui connurent une fin tragique, tels Hussein, Moubarak ou Kadhafi, le sort réservé à Erdoğan pourrait être encore plus terrible. Le dictateur turc en est tout à fait conscient, et c'est la raison pour laquelle il est devenu un jouet entre les mains de Poutine.

Il est de mon devoir de géopoliticien de penser déjà à l'après-Erdoğan. Les premiers territoires turcs menacés de sécession sont évidemment ceux du Kurdistan, mais aussi, à l'est, une perte de territoire au profit de l'Arménie. La Grèce, à l'ouest, pourrait bien aussi en profiter. L'Iran aurait tendance à remplacer la présence turque dans la région, grâce à une alliance avec le condominium russo-américain sur la Turquie. Le tout tourné vers l'affrontement final américano-chinois, de l'actuelle guerre planétaire. Mais, en fin de compte, beaucoup dépendra de la victoire éventuelle de Trump, en novembre.

Et nous, les nostalgiques d'un retour à l'empire ottoman, resterons déçus, à cause de la folle dérive d'un Erdoğan, dirigeant de grande valeur, autrefois prometteur, mais pris de la folie des grandeurs. Car il n'y a rien de nouveau dans le ciel et sous le toit de l'histoire.

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