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Les femmes en boxe: réponse à Michel Villeneuve

En 2019, les femmes se voient toujours confinées dans le rôle étanche de la féminité qui n’existerait que pour répondre aux attentes des hommes.
Jacques Boissinot
La Presse canadienne/Jacques Boissinot
Jacques Boissinot

Après la victoire de la boxeuse Marie-Ève Dicaire le 23 novembre dernier, le journaliste Michel Villeneuve a affirmé sur les ondes de 106, 9 FM en Mauricie que les « femmes, c’est pas fait pour se battre en public. Elles vont chanter, elles vont danser, elles vont pratiquer d’autres sports, mais la boxe, ce n’est pas un sport pour les femmes », suggérant que celles-ci devraient pratiquer une activité physique susceptible de mettre en valeur leur féminité.

Sans doute est-il impertinent de répondre à ce discours grossier qui ne peut que verser dans le risible. Je m’intéresserai plutôt à ce qu’il révèle : en 2019, les femmes se voient toujours confinées dans le rôle étanche de la féminité qui n’existerait que pour répondre aux attentes des hommes.

L’autorité médiatique ne semble pas suffire à Villeneuve, encore faut-il qu’il utilise cet espace privilégié pour renforcer la différence entre les boxeuses et les boxeurs. Cette inégalité culturelle au cœur de ses propos ne fait que soulever celle plus profonde encore dans la structure du sport.

À de nombreuses reprises, l’Histoire a contredit le mythe de la fragilité. Les femmes se battent en public depuis le premier combat officiel en 1876 aux États-Unis entre Nell Saunders et Rose Harland. Non seulement elles pratiquent la boxe, mais elles vont même jusqu’à adopter les habits masculins pour devenir les spectatrices des soirées où leur présence est interdite.

C’est le cas d’Ann Livingston qui, tel que l’écrit Alexis Philonenko dans Histoire de la boxe (1991), est une des premières à se fondre dans l’auditoire pour assister à un duel : « la boxe cessa donc en ce 8 juillet 1889, ultime date d’application des London Prize Ring Rules, d’être un spectacle fermé aux femmes. »

Un système d’exclusion

Au XX siècle, en Angleterre, en France et aux États-Unis, les boxeuses comme Polly Fairclough tentent de faire leur place. Elles se multiplient avec l’arrivée, entre autres, de Barbara Buttrick, athlète à l’origine du premier combat féminin diffusé en 1954. Malgré la volonté incontestable des femmes de percer ce sport dit « masculin », elles demeurent sans cesse confrontées à un système d’exclusion.

En effet, les Jeux olympiques en boxe font leur apparition en 1904, à Saint-Louis, et ne mettent en scène que des boxeurs. Les femmes sont admises pour la première fois en 2012, soit 108 ans après les hommes.

Au programme, il y a trois catégories de poids pour les femmes et dix catégories de poids pour les hommes. Jusqu’à ce jour, les données n’ont pas changé, ce qui contrevient à l’article 1.2.8 de la charte olympique dont la mission vise à « encourager et soutenir la promotion des femmes dans le sport, à tous les niveaux et dans toutes les structures, dans le but de mettre en œuvre le principe de l’égalité entre hommes et femmes ».

La discrimination structurelle empêche donc certaines boxeuses de haut niveau de se rendre aux Jeux olympiques et d’accéder par la suite au stade professionnel avec la même visibilité que Claressa Shields ou Katie Taylor. D’ailleurs, la Fédération de boxe olympique québécoise répertorie plus de 230 boxeuses affiliées dans les 125 clubs de boxe au Québec. Est-ce parce qu’aucune d’entre elles n’est suffisamment talentueuse pour la renommée ou est-ce parce que ce même système leur bloque l’accès dès le stade amateur?

La visibilité médiatique

Le second argument de Villeneuve pour maintenir les femmes en dehors de la boxe consiste à dire que leurs combats sont invendables et que les gens quittent avant la fin. Toujours dans son Histoire de la boxe, Philonenko note que les « grands combats se déroulent à une heure tardive dans la nuit et, de ce fait, ne sont pas regardés par beaucoup de spectateurs ».

La visibilité médiatique n’est pourtant pas un problème pour les femmes en arts martiaux mixtes, un sport encore récent et non fédéré, alors que les boxeuses se heurtent à une tradition historique bien ancrée, laquelle évolue lentement. Ce n’est pas sans raison que dans une entrevue accordée à The MMA Hour, la championne de trois divisions en boxe et célébrité de MMA, Holly Holm, demande aux journalistes : « Où étiez-vous tout au long de ma carrière de boxe? »

Effectivement, offrir une visibilité médiatique plus grande aux combats féminins, au lieu de consacrer ce temps d’antenne à la reconduction de stéréotypes de genre, pourrait notamment aider à la représentation des boxeuses. Cela permettrait aussi de transmettre la passion à d’autres femmes et de vendre davantage de billets pour assister aux affronts.

Rompre avec les stéréotypes de genre

Les femmes en boxe ne sont plus définies en fonction de leur féminité. Elles sont d’abord regardées pour leur capacité à se dévouer à leur sport et, par la suite, reconnues pour leurs habiletés techniques. Il est peut-être déconcertant pour les commentateurs sportifs de constater que ces dernières peuvent exister pour elles-mêmes, se trouver du côté de la force, et même danser au centre d’une arène.

Pour ma part, je commencerai à chanter le jour où on demandera en entrevue à Marie-Ève Dicaire si elle est pour ou contre la boxe masculine.

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