Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Québec, qui a fermé ses portes en 2021.

«Je ne pourrai jamais faire le deuil de l'enfant que mon fils aurait dû être»

Quoi que je puisse faire pour lui, au final, ça ne sera jamais assez. J’aurai toujours le sentiment qu’on lui a volé la vie qu’il était censé mener.
This post was published on the now-closed HuffPost Contributor platform. Contributors control their own work and posted freely to our site. If you need to flag this entry as abusive, send us an email.
Je voue à Oliver un dévouement absolu, inconditionnel, sans limites — comme il se doit pour tout parent.
Maggie Murray
Je voue à Oliver un dévouement absolu, inconditionnel, sans limites — comme il se doit pour tout parent.

Par où commencer? Ces derniers mois ont été difficiles. C'est probablement l'euphémisme de l'année, mais il m'arrive d'avoir du mal à trouver les mots pour décrire les défis permanents de notre quotidien.

Les années passent et mon fils devient un grand garçon — et toujours beau à croquer! Physiquement, il change plus vite que jamais... mais le mental ne suit guère.

Author's own

Naturellement, plus il avance en âge, plus l'écart se fait sentir entre lui et les enfants "normaux" — et même, d'une certaine manière, les autres enfants "différents". Rien de mal à cela (n'est-ce pas?); depuis déjà longtemps, nous nous y sommes résignés ne nous attendons à rien d'autre.

Je fais vraiment (vraiment vraiment) de mon mieux pour bannir la négativité et voir plutôt le bon côté des choses. Nous sommes comblés qu'il semble enfin devenir plus résistant aux infections, et ait passé près d'un an sans devoir faire de passage à l'hôpital. Mais même en m'efforçant d'accumuler les motifs de satisfaction pour compenser le reste, il me semble parfois ne livrer qu'une simple bataille, au lieu de me préparer à la guerre.

J'ai beau me pousser constamment à trouver dans toute chose une occasion de me réjouir, je ne pourrai jamais faire le deuil de l'enfance qu'Oliver aurait dû avoir.

Author's own

C'est évident, nos vies se font un peu plus compliquées, la "routine" du quotidien devenant de plus en plus usante et éprouvante.

Quand je ne suis pas rongée par la culpabilité de travailler à temps plein au lieu d'être auprès de mon fils, c'est l'épuisement qui m'envahit face à ce combat permanent pour tenir à distance le "dernier truc" qui n'attend que de me submerger à son tour.

Je commence à réaliser qu'il y a une énorme différence entre apprendre à gérer quelque chose et remplir son temps et son esprit de n'importe quoi d'autre que ce sur quoi on est censé se concentrer. Je suis parfois si focalisée sur le fait de convaincre tout le monde que je vais "bien" que j'en arrive à me tromper moi-même.

Je peux faire comme si ma force mentale n'était pas constamment sapée par le fantasme désespéré d'un monde où Oliver trouverait toute sa place; comme si mon âme n'était pas écrasée par une aspiration éperdue à ce que tout s'améliore par magie; comme si j'allais bien, mon cœur libéré du poids de toutes ces larmes que je refuse de pleurer.

Je voue à Oliver un dévouement absolu, inconditionnel, sans limites — comme il se doit pour tout parent. Très franchement, je ne crois pas qu'il y ait quoi que ce soit de plus que je puisse faire pour lui, et si c'était le cas, je n'hésiterais pas une seconde. Mais parfois, je ne peux m'empêcher de me demander si mes efforts ne sont pas vains.

De manière générale, Oliver adore la vie. C'est le petit être le plus heureux et innocent du monde, totalement inconscient de la cruauté que peut montrer ce dernier. Mais malgré cette bienheureuse ignorance, je commence à réaliser pleinement à quel point ses capacités à se débrouiller seul sont limitées. Sans notre présence à ses côtés, il ne lui resterait plus rien, et cette pensée m'est parfois intolérable.

Author's own

Il est encore incapable de tenir un biberon ou de se nourrir tout seul, comme de s'amuser avec ses jouets sans assistance. Il ne peut pas venir nous tirer du lit le matin et nous harceler pour aller au parc. Il ne peut pas se faire des amis, nous câliner, mettre des mots sur ses émotions. Il ne peut ni s'asseoir sans aide, ni se tenir debout. Il ne rampe pas, ne marche pas, ne s'habille pas tout seul. Il ne peut pas faire un caprice. Il ne peut pas prendre ses propres décisions, se découvrir une passion, nous aimer comme nous en aurions tant besoin.

Il y a tant de choses qu'il ne peut faire...

La liste est interminable, et nous ne nous faisons pas d'illusions: au fil des mois, elle risque encore de s'allonger. Certes, quand on met tout ça de côté, il y a beaucoup de choses qu'il maîtrise — mais pour chaque petite victoire, il y a une centaine d'échecs et pour chaque échec, un millier de possibilités incertaines. Un cercle vicieux infernal, inexorable, que nous luttons parfois pour briser.

Quoi que je puisse faire pour lui, au final, ça ne sera jamais assez. J'aurai toujours le sentiment qu'on lui a volé la vie qu'il était censé mener. Une vie où il aurait la liberté de tracer son propre chemin. D'avoir ses désirs, ses envies et ses ambitions, à réaliser à sa manière. Il mérite la normalité, l'indépendance, et plus que toute autre chose, il mérite une enfance.

Ces deux dernières années ont été une explosion de peur, de stupeur, d'épuisement et d'incertitude, et quand je prends un instant pour me représenter notre expérience de la parentalité à ce jour, je me demande bien comment on est arrivés à tenir jusque-là.

Aujourd'hui, j'imagine, le point central est que cette "différence", ces besoins "spécifiques" commencent à devenir visibles, et je ne sais pas trop quoi ressentir à ce sujet.